La crònica nissarda de Roger Rocca
La crònica nissarda de Roger Rocca
Lou Sourgentin
Lou Sourgentin

Progresser en nissart...

Progresser en nissart...

Le Sourgentin met ses années d'expérience dans l'enseignement de la langue nissart au service de celles et ceux qui souhaitent dès maintenant progresser dans leur pratique de cette langue régionale qu'ils affectionnent de plus en plus...

 


Progressez en nissart avec les leçons du Sourgentin. Mois après mois, des spécialistes de la langue niçoise mettent en ligne de nouvelles leçons : découvrez ainsi les essentiels de la langue et approfondissez vos connaissances !

1ère leçon : l'accentuation (1)

2ème leçon : l'accentuation (2)

3ème leçon : l'accentuation (3)

4ème leçon : Les consonnes géminées (1)

5ème leçon : Les consonnes géminées (2)

6ème leçon : GI ou J

7ème leçon : "Spada" ou "Espada", "Statua" ou "Estatua" ?

8ème leçon : "Celebrà" ou "Chelebrà", "Dechisioun" ou "Decisioun" ?

9ème leçon : Quelques réflexions à propos du " T " muet

10ème leçon : Mais pourquoi écrivez-vous "falhita", "bulhì", "filha", "travalhà", "travalh"(1)
Et pourquoi ces graphies coexistent-elles avec les graphies fahita, buhì, fiha, travaià, et travai ?

11ème leçon : Mais pourquoi écrivez-vous "falhita", "bulhì", "filha", "travalhà", "travalh"(2)
Et pourquoi ces graphies coexistent-elles avec les graphies fahita, buhì, fiha, travaià, et travai ?

Leçon 12 : Mais pourquoi écrivez-vous "Una plassa de Nissa", "Una plaça de Nissa" ou una "Plaça de Niça"? (1)

Leçon 13 : Mais pourquoi écrivez-vous "Una plassa de Nissa", "Una plaça de Nissa" ou una "Plaça de Niça"? (2)

Leçon 14 : Quand emploie-t-on « dei », quand emploie-t-on « dai » ? (1)!

Leçon 15 : Quand emploie-t-on « dei », quand emploie-t-on « dai » ? (2)

Leçon 16 : Les prépositions : deux points de syntaxe

Leçon 17 : La préposition « da » suivie de l’infinitif

Leçon 18 : La préposition « da » suivie de l’infinitif (suite)

Leçon 19 : La préposition « da », suite et fin

Leçon 20 : « Per » et « da »

Leçon 21 : La formation des mots par adjonction de suffixes

Leçon 22 : « -icou », un suffixe en perte de vitesse 

Leçon 1 : Mais comment faut-il accentuer les mots nissart ? (1)

Nous présentons la première partie de l’étude de Jacques CHIRIO sur la pratique de l’accentuation en nissart. C’est en effet cette dernière qui contribue à la "saveur" de notre langue, et la façon de prononcer "capelina" ou "balicò" est un véritable trait identitaire.

Disons tout d’abord qu’il faut bien distinguer accent écrit et accent tonique : ce dernier terme n’a de sens qu’à l’oral et désigne l’insistance, dans la prononciation d’un mot, sur une syllabe et plus particulièrement sur la voyelle contenue dans cette syllabe. Ainsi dans le mot terra l’accent tonique porte sur ter-, mais cela ne se traduit par aucun accent écrit. La place de l’accent tonique est en général donnée par la règle suivante :

- sont accentués sur l’avant-dernière syllabe les mots terminés par une voyelle ou par deux désinences verbales : le -es de la 2ème personne du singulier et le -on de la 3ème personne du pluriel. Ex : Presepi – Manges (tu manges) – Manjon (ils mangent).

- sont accentués sur la syllabe finale les mots terminés par une consonne. Ex : Ai cantat - Un bastart.

L’ACCENT ÉCRIT

Il peut être aigu ou grave. Il s’emploie surtout sur une syllabe qui reçoit l’accent tonique.

1 - Son emploi est indispensable pour indiquer une syllabe tonique qui fait exception à la règle donnée ci-dessus :

a) sur la voyelle finale d’un mot si elle est tonique. Ex : la liber, lou vitr, un moussù, lou bali. Cela concerne plus particulièrement les infinitifs : ex : can, fi, ser, a, ca, pou, vou, ainsi que la 3ème personne du singulier du futur : ex :cante.

On remarquera que, par convention, l’accent est grave lorsque cette voyelle est un A, un I et un U. Sur le E, l’accent indique en plus le timbre de cette voyelle : l’accent est aigu dans la mesure où il correspond à un E fermé pour la prononciation, et grave pour un E ouvert.

b) lorsque la syllabe accentuée d’un mot est l’antépénultième (proparoxytons). Ex : la boula, l’arèndoula, lou ssegue, dinegue, moùnega.

c) sur la syllabe accentuée d’un mot terminé par le digraphe OU atone. Ex : embougou, lou.

L’absence de cet accent indique au contraire que le OU final est tonique. Ex : pescadou, tiradou .

d) pour indiquer la diphtongaison ÒU à distinguer du son voyelle OU. Ainsi le son nòu s’opposant au son [nu] de nouvèu, vòu s’opposant à vous.

2 - L’accent écrit s’impose également pour distinguer des monosyllabes de sens différent mais de prononciation identique : l’accent distingue la préposition à de la forme verbale a (il a) ; la conjonction mà du possessif ma; le substantif qué (le quai) de la conjonction que.

(A suivre)

Cette étude figure dans l’ouvrage "Pràtica e gramàtica" de Jacques CHIRIO, en collaboration avec Noël FIORUCCI et Jean-Luc GAGLIOLO 

 

Leçon 2 : Mais comment faut-il accentuer les mots nissart ? (2)

 

3 - Accent écrit et désinences verbales :

 

a) Désinences en -es : il y a une ambiguïté possible entre la 2ème personne du singulier et la 2ème personne du pluriel pour les verbes en -e, -é, -re et les verbes en -ì. Si j’écris venes, cela veut-il dire tu viens ou vous venez ?

 

Pour dissiper l’ambiguïté, on écrit vènes pour la 2ème personne du singulier et venès pour la 2ème personne du pluriel (cette dernière forme étant conforme à la règle de l’accent tonique). Par analogie, on accentuera de même càntes (tu chantes) qui pourtant ne peut être confondu avec cantas (vous chantez). Mais l’accent sur la 2ème personne du singulier est souvent omis.

 

De même au parfait (passé simple), on écrira avec un accent la 2ème personne du singulier (cantères, vendères) et on fera de même au conditionnel (canterìes).

 

Remarque : les formes verbales en -ès du présent de l’indicatif et du subjontif (venès, que cantès) ont eu pour effet d’imposer un accent écrit pour les mots terminés par la syllabe -es tonique. Ex : lou proucès. Et dans ce cas l’accent grave renseigne sur la prononciation avec un E ouvert.

 

On emploie l’accent aigu si le son est celui du E fermé (espés, quauquifés).

 

b) Désinences en -on : on accentue la syllabe tonique de la 3ème personne du pluriel du parfait (cantèron), ce qui souligne la place de l’accent tonique et la différencie du futur correspondant (canteran). On note également un I accentué pour la 3ème personne du pluriel de l’indicatif imparfait (à l’exception des verbes en -à). Ex : venìon, vendìon et du conditionnel (canterìon).

 

Remarques : l’accent porté dans cantères et cantèron au parfait fait écrire par analogie cantèri.

 

L’accent sur le i en hiatus pour venìes et venìon à l’imparfait fait écrire par analogie venìi et venìa. Précisons pour la 1ère personne que l’on n’écrit jamais la désinence avec un H, ce signe ne pouvant être employé que pour un radical.

 

4 - Accent écrit et désinences en -IA :

 

Si la désinence en -ia est atone (patria, misèria), le mot s’écrit sans accent (on est alors en présence d’une diphtongue).

 

Si le I est accentué, il constitue avec le A un hiatus. On note alors un accent sur le I. Ex : l’espìa, la foulìa. C’est, on l’a vu, le cas en particulier pour deux cas de désinences verbales : 3ème personne du singulier de l’imparfait et du conditionnel. Ex : vendìa, canterìa.

 

5 - Accent écrit et groupe -AI :

 

Nous pouvons être en présence de la diphtongue descendante AI (accent tonique sur le A). Ex : faire, un fai, sartaia. Dans ce cas on n’emploie pas d’accent écrit.

 

Mais on peut aussi être en présence d’un hiatus (prononciation dissociée des 2 consonnes). On note alors un accent grave sur le I tonique. Ex : paìs, raìs. (Dans ce cas, le français a recours au tréma .Ex : naïf).

 

Dans certains cas, l’hiatus est marqué par un H. Ex : la jahina (la bergerie) à distinguer de la jàina (la poutre) : notons pour ce dernier mot l’emploi exceptionnel d’un accent (2).

 

Dans la forme d’imparfait fahìa, le double hiatus peut être noté par un H suivi d’un I accent grave, mais la notation faìa est jugée préférable.

 

Leçon 3 : Mais comment faut-il accentuer les mots nissart ? (3)

Nous avons vu jusqu’à présent les cas où l’accent écrit nous renseigne sur la place de l’accent tonique. Mais dans d’autres cas, l’accent écrit (sur le E ou sur le O) nous renseigne seulement sur l’aperture de la voyelle (distinction de E fermé et E ouvert, O fermé et O ouvert).

Accent sur le E :

Nous y sommes habitués par la pratique du français, mais une langue latine comme l’italien ne note pas les différences de timbre. Que nous écrivions Calena ou Calèna, nous n’hésitons pas sur la place de l’accent tonique. N’est-ce pas là l’essentiel ? En l’absence d’un dictionnaire scientifique et d’une Académie exerçant une fonction normative en fait de langue, on ne peut que constater des différences entre auteurs également estimables. Si on écrit Calèna, cèba, vèndre, cèndre, fèbre, nèbla, on guide le lecteur vers la prononciation d’un E ouvert, qui s’opposera au E fermé de drecha, estela (étoile), ceda, tela, etc… Cette notation peut être utile pour la conjugaison de verbes comme levà pour souligner l’opposition des formes avec un E tonique (lèvi, lèves, lèva, lèvon) et de formes avec E atone (levan, levas, ou levà).

Elle s’est imposée dans la notation du groupe IE : cela permet de différencier le son avec E fermé (aiet, les finales en -IÉ comme fournié) et le son avec E ouvert (ièra, carrièra, etc…)

Elle tend à s’imposer pour la notation du groupe EU : cela permet de distinguer le groupe avec E fermé (feuse, teule, beure, aqueu) du groupe avec E ouvert (la plupart des finales en -èu : castèu, soulèu, batèu, etc…).

L’accent d’aperture est aussi généralement employé pour les diphtongues EI et UE (crèire, vèire, juèc, fuèc, nuèch, etc…)

Il n’en reste pas moins que ces accents d’aperture sont une acquisition récente (le Dictionnaire de CALVINO les ignore généralement) et que souvent, nos auteurs n’en sentent pas la nécessité. Aussi, est-il difficile de les exiger de nos élèves à l’écrit.

Cet accent d’aperture est toutefois bien utile dans les groupes de trois ou quatre voyelles : il oriente alors la prononciation. Ex : sièi, ancuèi, vuèi, vuèia, pluèia, cerièia, etc…

Cas du groupe IEU : il est traditionnel de l’écrire avec un É (estiéu, siéu, miéu), car le son d’origine était un E fermé, actuellement réduit à I. Mais on pourrait aussi écrire estieu au lieu de estiéu, l’absence d’accent correspondant à un E fermé. C’est la notation du Dictionnaire de CALVINO, qui donnait pourtant iéu dans sa grammaire.

Accent sur le O :

On rencontre généralement en nissart un O ouvert qui est logiquement noté Ò (òli, jòia, bòia, etc…) mais très souvent, cet accent grave est omis : cela est très net en particulier dans le Dictionnaire de CASTELLANA.

Un cas particulier est celui de l’article contracté dóu (du) :

La difficulté de le distinguer de dau dit suffisamment que le son O fermé est problématique. Il fallait choisir un accent pour marquer la diphtongaison : à tort ou à raison, nos auteurs se sont alignés sur la graphie des provençaux - graphie de ROUMANILLE - (CALVINO préconisait dòu ou mieux dau).

Pour les graphies cóu (coup) et nóu (chiffre neuf) préconisées par Rémy GASIGLIA dans la Grammaire du Nissart en 1984, elles ne semblent pas avoir été adoptées.

Dans le cas de ces diphtongues, l’enseignant sera avisé en exigeant seulement la présence d’un accent, qu’il soit grave ou aigu.

Par contre, il est désormais acquis de noter avec un Ò la diphtongue OUO. Ex : pouòrta, pouòrc, fouòl, etc…

4ème leçon : Les consonnes géminées (1)

Les lecteurs - et nous espérons qu’ils sont nombreux - qui lisent régulièrement du niçois (dans le Sourgentin et ailleurs) auront certainement remarqué que, comparé au français et à l’italien, le niçois utilise relativement peu de consonnes doubles (les spécialistes disent " consonnes géminées "). Aussi certains lecteurs peuvent-ils souhaiter savoir dans quels cas on a recours à la consonne double.

Rappelons en un premier temps les cas où, contrairement au français, le niçois ne pratique pas la consonne double :

- BB ex : abbé en français mais abat en niçois.

- CC accord / acordi, accident / acident.

Exceptions : nous écrivons accès et accent (remarquons toutefois que la prononciation (ak-sen) appelle la consonne double et que certains auteurs continuent de préférer les italianismes achès et achent).

- DD addition / adicioun

- FF affaire / afaire

- GG aggraver / agravà, suggestion / sugestioun

- PP supplier / suplicà

- TT attirer / atirà, battre / batre, fleurette / floureta

- LL allonger / aloungà, ville / vila

Exceptions : On a préféré écrire bella (plutôt que bela), sous la double influence du français et de l’italien, peut-être aussi pour distinguer de bela (il bêle...). Mais le Dictionnaire de CALVINO donne bela pour belle.

Les "mistraliens purs" (voir Trésor du Félibrige, GIORDAN, etc ...) écrivent aussi nouvella ( féminin de l’adjectif nouvèu et substantif), usage peu suivi de nos jours.

Dans le cas du N et du M, les choses sont moins simples :

- NN : Souvent, à un double N français correspond un N simple niçois. Ex : la canne / la cana, donner / dounà.

Toutefois, se pose le problème des mots résultant de la greffe du préfixe latin IN sur des mots commençant par N. Ex : innover, innocent. Ecrira-t-on en niçois innouvà ou inouvà, innoucent ou inoucent ?

Les "inconditionnels" de la consonne simple (par exemple CALVINO) proposent inoucent et inouvà. Les tenants de la graphie mistalienne stricte conservent le N étymologique et donnent innoucent, innouvà (Dictionnaire d’EYNAUDI qui reprend le Trésor du Félibrige). Notons le manque de cohérence de CASTELLANA qui donne innouvà, mais par ailleurs (comme GIORDAN) inoucent (aurait-il oublié que innocent dérive de IN + nocens ?). N’étant pas qualifié pour le faire, l’auteur de ces lignes se gardera bien d’édicter une règle là où il y a hésitation.

Un autre problème est posé par les mots résultant de la greffe du préfixe latin AD (qui peut devenir AN par assimilation régressive) sur les mots commençant par un N. Ex : écrira-t-on annessioun ou anessioun, annegà ou anegà, sachant que ces mots dérivent de AD + nexus et AD + necare ? CALVINO et CASTELLANA sont pour le N simple (CALVINO : anexion, CASTELLANA : anegà, anessioun). Les "mistraliens purs" (EYNAUDI) sont pour NN (Ex : "l’anneissioun de Niço" dans le Trésor du Félibrige) mais ils manquent singulièrement de cohérence en donnant par ailleurs anounçà et anulà qui dérivent pourtant de formes latines avec ce même préfixe AD. Dans ces conditions, il semble sage de tout écrire avec un seul N : anessioun, anegà, anounçà, anulà, anoublì, etc ...

Un cas spécifique : traduira-t-on ennuyer par anuià ou annuià ? Ici, le front des ennemis de la consonne double se disloque : N simple pour CASTELLANA, N double pour CALVINO et EYNAUDI. Dans ce cas, le NN n’est pas étymologique (latin inodiare), mais le rapprochement avec la variante ennuià (où la double consonne s’entend) peut à la rigueur justifier la graphie annuià.

Autre cas spécifique : annada (année) et d’autres dérivés du substantif AN ; cette forme chère aux "mistraliens purs" (Trésor du Félibrige, EYNAUDI, GIORDAN) est fortement battue en brèche par l’usage actuel (la Grammaire du Nissart de Rémy GASIGLIA donne anada). Elle avait pourtant l’intérêt de marquer une distinction par rapport à anada, participe passé féminin singulier de anà.

- MM : Souvent, à un double M français correspond un M simple niçois. Ex : homme / ome, nommer / noumà.

II y a problème dans le cas des mots résultant de la greffe du préfixe latin IN sur des mots commençant par M. Traduira-t-on immortel par immourtal ou par imourtal ? Nos dictionnaires usuels (CALVINO, CASTELLANA) sont d’accord pour préconiser le MM mais ils le font sans doute sous l’influence du français. Il est peut-être plus simple de renoncer à la consonne géminée. On signalera toutefois comme une curiosité la graphie, devenue plus que minoritaire, qu’on trouve dans le Trésor du Félibrige et chez EYNAUDI, qui consiste à utiliser le groupe NM (inmourtal chez EYNAUDI). On trouvera dans le dictionnaire de cet auteur la liste (d’inmaculat à inmunità) des mots concernés par ce problème.

R : C’est sans doute dans ce cas que s’est manifestée la résistance la plus forte contre la réduction à une consonne simple. Dès le Moyen Âge, il y a flottement entre les deux graphies. Il n’en reste pas moins que le double R est encore très présent dans la graphie actuelle. Qui écrira la tera ou la guera au lieu de terra et guerra ? Souvent, notre usage est calqué sur celui du français (comme dans les deux exemples précédents) avec toutefois des hésitations (la traduction d’horrible donne orible chez CALVINO, mais ourrible chez CASTELLANA, forme qui paraît nettement préférable). L’hésitation est plus grande lorsque nous n’avons pas de mot totalement symétrique en français. Voici en vrac quelques mots relevés dans une relecture rapide de Lu evangèli (GIORDAN) : lou barri, charrà, courre, marrit (1), mourre, sedurre. Nous conseillons ces graphies, sans nous soucier d’éventuelles divergences avec le Dictionnaire de CASTELLANA. On pourrait y ajouter les autres composés de -durre (adurre, etc…) et aussi trois mots correspondant à des mots français terminés en R : il s’agit de carre (char), ferre (fer) et tourre (tour), qu’il est raisonnable d’écrire en deux syllabes avec RR.

Ici encore un problème particulier est posé par les mots dérivant de la greffe du préfixe latin AD sur un mot commençant par un R. Va-t-on écrire arrestà (arrêter) ou arestà, arribà (arriver) ou aribà ? Nous retrouvons ici une opposition déjà vue ailleurs : les inconditionnels de la consonne simple (CALVINO, CASTELLANA) proposent aribà et arestà, tandis que les mistraliens purs (Trésor du Félibrige, EYNAUDI) proposent arribà et arrestà (formes également pratiquées par GIORDAN). Nos lecteurs sont donc en présence d’un choix à faire. L’auteur de ces lignes signale à titre indicatif sa très nette préférence pour la graphie étymologique avec RR (on trouvera dans le dictionnaire d’EYNAUDI d’arrambà à arrousà la liste des mots concernés par cette graphie).

" Comment ? - dira un lecteur vigilant - après nous avoir conseillé anounçà, vous nous conseillez arrestà ? Le même préfixe latin AD n’est-il pas derrière ces deux mots ? Pourquoi conseiller un N simple et un R double ? ". L’objection est intéressante et, pour me justifier, je ferai intervenir la prononciation. Par la graphie RR, nous rendons un R long, donc un son spécifique (peut-être plus marqué en niçois qu’en français) : le son n’est pas tout à fait le même dans arena et dans arrestà, dans aridità et dans arribà. La graphie ne fait qu’enregistrer cette différence.

Un autre problème particulier est posé par les mots résultant de la greffe du préfixe latin IN sur un mot commençant par un R. Dira-t-on irrespounsable ou irespounsable, irrucioun ou irucioun ? Nous retrouvons ici encore l’opposition entre les partisans de la consonne simple (CALVINO, CASTELLANA) et les " mistraliens purs " qui conservent le RR. Nous signalons notre préférence pour cette dernière solution.

Quoi qu’il en soit, on attend d’un auteur qu’il soit cohérent au sujet de ces deux derniers problèmes. S’il a jugé bon d’écrire aribà, on attendra de lui qu’il écrive arestà. Le panachage (aribà - arrestà) est condamnable.

Un cas spécifique : le verbe serrà doit-il s’écrire ainsi ou plutôt serà ? La graphie permet-elle de distinguer les deux sens scier et serrer, fermer à clé ? Malgré CALVINO et CASTELLANA, notre préférence ira à la graphie serrà, symétrique du français " serrer ", de l’italien " serrare " (fermer, enfermer), de l’espagnol " serrar " (scier), et cela pour tous les sens du verbe (2). Par la même occasion, serra (il scie, il serre) se distinguera de sera (soir). I1 va de soi que les dérivés (serralha, etc ...) s’écriront de même.

Notre exposé serait incomplet si nous ne disions pas que SS est indispensable pour rendre le son du S dur (c’est l’opposition basa / bassa). Il est bon toutefois d’ajouter qu’un bon nombre de mots ont perdu leur SS lorsqu’a été adoptée pour le nissart la graphie mistralienne qui introduisait le C et le Ç. On a continué d’écrire espessa (épaisse), mais on a écrit peça (et non plus pessa), on a encore écrit passioun mais on a écrit reacioun (et non plus reassioun).

On aura pu voir que le problème des consonnes doubles est passablement complexe dans certains cas et, à lui seul, il justifie le souhait de voir paraître un jour un dictionnaire qui prenne clairement parti entre les sollicitations contraires que cet article a voulu mettre en évidence. Il n’en reste pas moins qu’il est agréable de constater que le nissart ne souffre pas de certaines anomalies qui rendent si critiquable l’orthographe du français : là où le français pratique une double notation (honneur / honorer ; patronner / patronage), le niçois a le mérite de la cohérence (òunour / ounourà ; patroun / patrounage).

NOTES

(1) La graphie permettra donc de distinguer marrit (mauvais) de marit (mari).

(2) La graphie permettra de distinguer serrà (serrer, etc…) de serà (il sera).

6ème leçon : GI ou J

"Agiount au mèra" ou "Ajount au mèra" ?

Si nous devons traduire le mot adjoint, c’est la forme ajount qu’il faut utiliser en nissart. On lit pourtant agiount sur le bas-relief (inauguré le 6 mai 1934) consacré à Menica RONDELLY. Pourquoi ? L’explication est simple : c’est là un vestige de la graphie, largement inspirée de l’orthographe italienne, utilisée du XVIIème siècle au milieu du XXème et qu’on trouve en particulier chez RANCHER. A cette époque, le son doux DJ (son palatal) devant un A un O ou un U était rendu par l’emploi d’un G suivi d’un I (on avait donc G+I+A = DJA - G+I+O = DJO - G+I+U = DJU), le I étant un simple signe sans valeur propre.

La graphie mistralienne, par contre, a rendu ces mêmes sons par un J (qui se trouve donc avoir non pas le son qu’il a en français, mais celui qu’il a en anglais). On cessa donc, par exemple, d’écrire giamai pour écrire jamai. De même une forme comme gioia céda la place à joia, giugà fut remplacé par jugà et giouve par jouve.

Par contre, devant les voyelles E et I, l’adoption de la graphie mistralienne n’apporta aucune modification. On écrivit comme par le passé vilage ou regina. (1)

Mais il est plus facile d’édicter des normes que de faire oublier des habitudes bien ancrées. Non seulement il y eut une période assez longue où on hésita entre les deux graphies, mais, dans le problème qui nous intéresse, pour certains mots, les Niçois éprouvèrent une certaine réticence à adopter la nouvelle graphie. Cela se produisit surtout pour un certain nombre de verbes usuels. On s’en persuadera en feuilletant le Dictionnaire niçois-français de CASTELLANA. Cet auteur donne certes des formes comme aujà, batejà, blanquejà, foulastrejà, merchandejà, plaidejà, pountejà, verdejà, etc… mais par contre, nous avons l’étonnement de trouver une graphie pré-mistralienne en particulier pour bon nombre de verbes : mangià, changià, arangià, dirigià, engagià, jugià, ploungià, oubligià, regargià, etc… On peut invoquer, pour expliquer cette anomalie, différentes circonstances atténuantes:

 

1. un refus inconscient de la modification du radical : il faut bien voir que pour tous les verbes du type mangià (écrit manjà dans la graphie mistralienne), on a tantôt un G et tantôt un J comme consonne finale du radical. Ainsi au présent de l’indicatif, on a : mangi, manges, manja, manjan, manjas, manjon. La tentation est forte de garder le G partout et de conjuguer : mangi, manges, mangia, mangian, mangias, mangion et donc d’écrire mangià à l’infinitif. (Le français fait quelque chose d’analogue lorsqu’il écrit nous mangeons (au lieu de manjons). Il faut pourtant que, ayant adopté la graphie mistralienne, nous ne trichions pas et que nous écrivions par exemple : "Manja, Matiéu, que manges dóu tiéu."

2. L’influence inconsciente du français, voire de l’italien : si on reprend la liste d’exemples de graphie critiquable, il est aisé de rapprocher des infinitifs français correspondants : manger, changer, arranger, diriger, etc… Mais il n’est pas interdit de penser également à un rapprochement avec l’italien (mangiare, arrangiare, ingaggiare, dirigere, etc…).

3. L’influence de la graphie de certains patronymes : on est porté à une graphie avec GI devant le A, le O et le U dans un Comté où abondent des patronymes orthographiés selon l’usage italien comme Giacobi, Giuge, Mangiapan sans oublier "GIORDAN", correspondant chez nous au Jourdan provençal.

Ce qui est vrai pour les patronymes l’est également pour les toponymes. Nous citerons en particulier le mot jas (abri sommaire, bergerie) que nous citons avec son orthographe "mistralienne", mais que nos cartes écrivent plus souvent gias que jas.

Il va de soi que, lorsque nous lisons nos auteurs récents, nous pouvons retrouver des exemples de graphie contestable, résultat des mêmes hésitations présentes dans le Dictionnaire de CASTELLANA. Par exemple, nous lisons dans Lou sartre Matafiéu de Francis GAG : "de mangià noun mi senti l’envuèia" ou encore "avès mai changiat d’idea". Il conviendrait, de nos jours, d’écrire manjà et chanjat pour être en accord avec les principes de notre graphie (qui, pour ce point précis, reprennent la notation de la langue d’Oc présente dans l’ancien provençal des troubadours).

Comme on le voit, dans ce cas aussi, apparaît la nécessité de nouveaux outils pour l’étude du nissart. Aussi peut-on se réjouir de la décision prise par la commission de linguistique de l’Escola de Bellanda d’élaborer un lexique nissart-français (où on lira par exemple aranjà et non arangià, aflijà et non afligià et où bien sûr le mot ajount ne manquera pas d’être écrit avec un J).

NOTES

(1) Ce n’est que par exception qu’on trouve le J devant E ou I. Ex : Jésuìta, ajetiéu, jìjoula, jijouòla, Jerusalèn, etc…

 7ème leçon : "Spada" ou "Espada", "Statua" ou "Estatua" ?

Il serait facile de répondre à ces questions en se limitant à signaler qu’il y a hésitation, puisque le Dictionnaire de CASTELLANA donne à la fois espada et spada, mais seulement statua, alors que celui de CALVINO ne donne que espada et estatua. Il convient en fait de dire que le problème, loin d’être limité à ces deux exemples, concerne d’une façon générale, un grand nombre de mots dérivés de vocables latins commençant généralement par un S suivi d’une consonne (le plus souvent C, P et T).

Il est d’usage de dire qu’en langue d’Oc, l’évolution phonétique s’est faite en faisant apparaître le phénomène de prosthèse (ou prothèse), c’est à dire la greffe d’un E à l’initiale (E prosthétique). Ex. : estela du latin stella, escriéure du latin scribere. Et le Provençal emploie systématiquement ces formes en E (Ce sont les seules présentes dans le Pichot tresor de Xavier de FOURVIERES). Arrivés à ce stade de notre réflexion, si on se rappelle que l’italien ne pratique pas la prosthèse du E, on serait tenté de conclure que les formes en S + consonne présentes chez bon nombre d’auteurs et dans nos dictionnaires sont des italianismes : on dirait par exemple que les graphies spada, stela, statua sont dues à l’influence de l’italien spada, stella, statua, voire du piémontais spa, steila, statua.

Une autre démarche, sans doute plus intéressante, consiste à s’interroger objectivement sur cette résistance, dans le Comté de Nice, à la pratique d’un phénomène phonétique hégémonique en langue d’Oc (et en espagnol). Différentes considérations peuvent alors intervenir :

1. Si, comme on se plaît à le dire, notre dialecte est, dans le domaine de la langue d’Oc, celui qui est resté le plus proche du latin, pourquoi cette absence éventuelle du E prosthétique ne serait-elle pas un indice de cette fidélité au latin, en dehors de toute influence italienne ?

2. On pourrait également faire intervenir une distinction capitale entre mots de formation populaire et mots de formation savante. Rappelons-nous ce qui se produit en français pour l’évolution qui nous intéresse : si les mots de formation populaire ont fait l’objet de la prosthèse du E (Ex. : scribere qui donne écrire, stella qui donne étoile), les mots de formation savante ne présentent pas ce phénomène (d’où les formes comme scribe, scriptural ou stellaire). On pourrait donc considérer qu’il en est de même en nissart et dire que sont de préférence en ES les mots de formation populaire et en S + consonne les mots de formation savante, qui n’ont subi qu’une adaptation minime. Cela donne donc des formes comme espada, escriéure, espala (du latin spatula) mais par ailleurs scriba, stelari. C’est ainsi qu’on pourrait écrire speculacioun ou sfera de préférence aux formes especulacioun ou esfera que certains utilisent en hommage aux formes félibréennes provençales. Nous suivrons en cela l’exemple de Rémy GASIGLIA qui, dans son étude sur le Phygaço de MOSSA (Nice-Historique, Avril-Juin 1981), n’hésite pas à écrire " un stil " (un style) ou " una strutura ". Remarquons au passage que le latin spatula qui est à l’origine de espala (formation populaire) a donné également, en formation savante spatula (spatule).

3. Mais en présence de mots de formation populaire dépourvus du E prosthétique, on peut considérer qu’on est en présence de cas d’aphérèse, ce terme désignant la chute d’une lettre ou d’une syllabe de la partie initiale d’un mot. On sait que c’est l’aphérèse qui explique que, parallèlement aux formes complètes de démonstratifs " estou " et " esta " (dérivés du latin " iste " et " ista ") existent les formes " stou " et " sta ", " staire " (au lieu des infinitifs " està ", " estaire "), on est en présence de cas d’aphérèse bien enracinés dans la langue. Pensons à l’expression bien connue : " plen de laisse-mi stà " (plein de lassitude donc apathique) : il serait ridicule de se croire obligé d’écrire " laisse-mi està " (2). Or il suffit de relire une œuvre comme le Phygaço de MOSSA (1924) pour se persuader que les cas d’aphérèse sont en fait très fréquents, et pour vérifier que l’aphérèse n’est pas un phénomène irréversible. En effet MOSSA écrit par exemple tantôt " spavent " et tantôt " espavent ". De même des formes comme " scala ", " scapà ", " scoutà " coexistent avec " escala ", " escapà ", " escoutà ". Le critère de choix est généralement euphonique, en fonction du besoin - peut-être inconscient - d’éviter un hiatus. Ainsi la phrase " si ve che noun sabes ni liege ni scrieure " (Phygaço, I, 5) est plus agréable à l’oreille que l’hiatus " ni escrieure ".

Mais c’est dans le domaine de la poésie que le recours à des formes sans E prosthétique est particulièrement utile. Ainsi le vers suivant de RANCHER " Nem mi douna l’elans, eù soulet mi fa scrieure " appelle deux remarques :

a) en écrivant " scrieure ", RANCHER a évité l’hiatus " fa escrieure "

b) par la même occasion il a fait l’économie d’une syllabe : avec la forme " escrieure , le vers serait faux (il aurait treize syllabes, donc une de trop).

Toutefois dans certains cas, la forme sans E prosthétique n’est pas justifiée par la nécessité de faire l’économie d’une syllabe. Ainsi dans la fable 4 (" Lou storneu e lou coguou "), RANCHER écrit " Lou storneu de retour eme suin e fatiga… ". S’il avait écrit " estourneu " le nombre de syllabes aurait été le même. L’auteur considère donc que les deux formes " stournèu " et " estournèu " (graphie moderne) sont également correctes. De même pour le titre de la fable 31 (Lou garri spergiuri) l’auteur a délibérément choisi cette forme (alors que de nos jours la norme félibréenne impose d’écrire " esperjuri ") (4).

Et comme nous avons évoqué Phygaço, il ne faudrait pas oublier que le nom du doutour STRIPACAN est lui-même l’aphérèse de " estripaca-can ", étripe-chien).

Il semble donc raisonnable d’admettre que la spécificité du niçois consiste souvent à faire coexister les formes avec et sans le E prosthétique. Il est certes tout-à-fait raisonnable qu’un dictionnaire moderne emploie systématiquement les formes avec le E prosthétique. L’essentiel est que le lecteur sache qu’en pratique ce E peut parfois ne pas être noté à l’écrit (sans que cela soit une incorrection) et qu’il subit assez souvent un amuïssement à l’oral. En donnant quelques dizaines de mots comme " spavent ", " spada ", " statua ", les dictionnaires de CALVINO et de CASTELLANA avaient essayé, avec quelque maladresse, de rendre compte de cette spécificité du niçois. C’est pour la même raison que la grammaire de Rémy GASIGLIA, s’écartant du conformisme félibréen, remarque (page 43) qu’à l’écrit, avant l’implantation de la norme félibréenne, le E prosthétique a été érarement noté, et qu’à l’oral on trouve souvent des formes sans ce E prosthétique (exemple cité : " stai chùtou ", au lieu de " estai ").

NOTES

(1) Le français a également pratiqué le E prosthétique, mais par la suite le S de la racine a disparu dans le français moderne (eschele, escu, espine sont devenus : échelle, écu, épine).

(2) On parlera également d’aphérèse à propos de l’adverbe " esquasi " (presque) qui prend très souvent la forme " squasi " (ex : " un gòtou squasi plèn que Mamà nen porgìa… " - Carletou MALAUSSENA, La villa Armerina). Dans cet intéressant ouvrage, on lit beaucoup plus souvent " squasi " que " esquasi ".

(3) Notons au passage que la forme " scrieure " est depuis longtemps dans notre langue : on la trouve déjà au 16è siècle chez Jean-François FULCONIS, l’auteur de la Cisterna fulcronica.

(4) A ce point de notre étude, on peut remarquer que certains auteurs ont cru devoir noter l’aphérèse par une apostrophe, signe qui normalement marque l’élision. Ainsi M. COMPAN, transcrivant pour " Lou libre dou Niçard " un vers de la Nemaïda de MOSSA, écrit " lou roucas ‘sclapat pèr lou lebech… ".

 8ème leçon : "Celebrà" ou "Chelebrà", "Dechisioun" ou "Decisioun" ?

Les étudiants de nissart, toujours plus nombreux en notre bonne Faculté des Lettres, ont certainement remarqué, comme les lecteurs du Sourgentin, que pour un bon nombre de mots de formation savante, il y a hésitation entre une forme en CE ou CI et une forme en CHE ou CHI. Ainsi, auteurs et dictionnaires proposent à notre lecture tantôt celèbre, celebrà, necessari, necessità, decidà, decisioun, precis, precisioun, tantôt chelèbre, chelebrà, nechessari, nechessità, dechidà, dechisioun, prechis, prechisioun. Ce sont là quelques exemples parmi tant d’autres. Une question se pose alors : faut-il donner la préférence à une forme plutôt qu’à l’autre (et pourquoi) ?

Avant de donner une réponse à ces questions, quelques remarques préliminaires s’imposent :
- Notre étude porte sur des mots qui sont tous dérivés de formes latines (celebrare, decisio, etc…) qui présentent la syllabe CE ou CI (prononcée Ké ou Ki en latin classique).
- Les formes en CE ou CI comme celebrà, pacificà sont présentes dans tout le domaine de la langue d’Oc depuis le Moyen Âge (ancien provençal). On ne saurait donc les considérer comme des gallicismes récents.
- Les formes en CHE ou CHI (son palatal) ont un équivalent parfait en italien. Il ne faut pas oublier que dans cette langue, le C devant les voyelles E et I a le son palatal tch. On écrit celebrare, decisione, pacificare et on prononce tchélébrare, detchisione, etc. Il n’est donc pas interdit de considérer nos formes nissardes en CHE et CHI comme fortement conditionnées par l’italien plutôt que comme des " nissardismes ". Les mots considérés étant des mots de formation savante, relatifs au vocabulaire abstrait, ils peuvent résulter de l’influence de l’italien, qui a été la langue officielle de 1562 à 1860 et que les personnes cultivées utilisaient nécessairement.

Mais qu’en est-il de l’emploi actuel des formes en CHE et CHI ? Il est raisonnable de dire que ces formes sont de moins en moins usuelles. Elles sont encore largement présentes dans le Dictionnaire de CALVINO (1903) mais déjà cet auteur hésite parfois entre deux formes : c’est ainsi que coexistent dans son dictionnaire achident et acident, chedà et cedà, chelebre, chelebrà et celebre celebrà, chirculà et circulà, etc…

Avec le Dictionnaire de CASTELLANA (1952) on note une régression très nette des mots avec CHE ou CHI, nettement moins nombreux. On ne trouve plus des formes comme achident, chelebre, cheleste, chentral, chertificà, chertituda, chircounferença, chircoustança, chirculà, counchessioun (sens de concession), counchis, dechisioun, inachessible, inachetable, inchessant, inchident, inchisioun, indechent, lichença, Luchifer, nechessità, nechessari, pachificà, prechisioun, vachilà, viche-rei,, etc… Désormais, tous ces mots apparaissent chez CASTELLANA avec CE ou CI (acident, celebre, etc…)

Toutefois, cette démarche reste incomplète dans la mesure où des mots analogues (même type de dérivation latine - même formation savante) conservent chez cet auteur les formes en CHE ou CHI : c’est le cas, par exemple, de chensour, chensura, chessà, chessacioun, chinic et chinisme (alors que pour ces deux derniers mots, CALVINO hésitait entre les deux formes), counchecioun (sens de conception), interchessioun (intercession), interchetà, sacherdoci, etc. Plus particulièrement, on constate que conservent le CH chez CASTELLANA les mots dérivés de mots latins présentant un double C ou le groupe de consonnes XC après un E. C’est le cas de mots comme achetà (latin acceptare), suchès (latin successus), vachinà (latin vaccinus), echelent (latin excellens), echità (latin excitare).

Il faut portant ajouter que, malgré leur présence dans le Dictionnaire de CASTELLANA, dans la pratique courante ces formes reculent : on ne les entendait pas souvent dans La minute de Francis GAG… Certains cas de "résistance" ont des causes ponctuelles : ainsi, achetà peut être inconsciemment préféré à acetà pour éviter la confusion avec assetà (asseoir) ; counchecioun a pu être conservé dans le sens de conception (1) pour le différencier de councessioun (concession), mais nous préférons traduire conception par councepcioun (et réception par recepcioun).

Disons enfin que CASTELLANA a par ailleurs des hésitations difficilement justifiables : ainsi, il donne l’adjectif achessible (accessible) mais pour son contraire il donne inacessible. De même il donne achetable (acceptable) mais son contraire inacetable. Ces deux exemples prouvent bien la régression des formes en CHE ou CHI qui semblent promises à une disparition assez proche. Par contre, subsisteront inchangés des italianismes relativement implantés dans notre langue, comme amichicia (amitié) (2), inimichicia (inimitié), dechis (décidé), echetou (excepté), precounchet (préjugé), counchepì (concevoir). (3)

Arrivés au terme de cette étude, il semble donc sage, tout en laissant à chacun (auteur ou locuteur) ses préférences, de conseiller à un étudiant d’employer uniquement les formes en CE ou CI, parce qu’elles sont en accord avec notre patrimoine linguistique, parce qu’elles nous rapprochent des autres rameaux de la langue d’Oc (à commencer par le provençal) et parce qu’elles sont consacrées par un usage nettement majoritaire. Pour revenir à notre titre, il dira donc celebrà et decisioun mais aussi censura, cessà, etc. On ne peut aller jusqu’à la condamnation des formes en CHE ou CHI, car ces formes (4) ne sont pas encore mortes, mais seulement moribondes.

NOTES

(1) Pour counchecioun et bien d’autres mots (cruchifis, sacherdossi, chircounchisioun, chibori, etc) il convient de ne pas sous-estimer l’influence d’ecclésiastiques parfois piémontais et conditionnés non seulement par l’italien, mais aussi par le latin d’église prononcé "à l’italienne" avec en particulier le son palatal pour les syllabes CE et CI.

(2) C’est ce mot qu’employait Barba Martin dans un texte cité par GIORDAN : noun vouoli plus qu’argent ni amichìssia.

(3) Pour ces mots, les formes occitanes préconisées sont amistà, enemistà, decidat, eceptat, prejujat, counceure.

(4) Depuis plus d’un siècle, ces formes dépérissent dans la mesure où elles ne sont plus nourries par l’influence de l’italien qui a cessé d’être langue nationale.

 Leçon 9 : Quelques réflexions à propos du "T" muet (1)

"Le niçois s’écrit comme il se prononce" : c’est une affirmation simpliste qu’on entend encore trop souvent. Pour se persuader de son caractère abusif, il suffira de penser aux cas, assez nombreux, de consonnes muettes et de se rappeler, par exemple, que nous écrivons sus, gros, bras, avant, après, vers (préposition) et temp que nous prononçons su, gro, bra, avan, aprè, ver et tèn. Parmi ces consonnes muettes, le T est particulièrement digne d’intérêt. En effet, le T final, qui est très souvent sonore (Ex : vent, dubert, etc…), peut aussi être muet, mais apparaître cependant à l’écrit, et cela dans d’assez nombreux cas, que nous essaierons d’évoquer :

1. Le T muet apparaît au participe présent régulier des verbes (Ex : cantant, vendent, partent, capissent, etc…). L’intérêt de cette notation, avec rétablissement d’un T étymologique, est de favoriser visuellement la distinction entre cantan (nous chantons, indicatif présent) et cantant (chantant, participe présent), ou entre venden (nous vendons) et vendent (vendant), etc… Précisons toutefois que cet usage est, à l’époque moderne, relativement récent : au siècle dernier, MICÈU, dans les textes qui accompagnent sa grammaire, écrit par exemple "en passan". RANCHER fait de même dans La Nemaïda (Ex : "en assemblan"), mais dans La mouostra raubada, il a adopté la notation avec le T muet (Ex : "si trouvant") (1).

2. On trouve -ant au lieu de -an dans certains mots : avant, davant, denant, tant, autant, quant (combien). Là encore, ce T muet correspond à l’étymologie latine des mots (latin ante, tantum, quantum). De même, enfant (prononcé enfan) présente le T étymologique de infantem. Là encore, l’usage est récent : on lit chez MICÈU tan, can, avan, enfan, etc… Notons au passage que la graphie can a l’inconvénient d’entretenir la confusion avec lou can (le chien). RANCHER écrit lui aussi tan, can, avan, enfan dans la Nemaïda, mais avec La mouostra raubada, apparaît la forme tant qui reflète donc une exigence étymologique. Il faut ajouter que le recours au T étymologique est amplement justifié par l’existence de dérivés qui présentent la lettre T sous forme sonore : pour enfant, nous avons enfantoun, enfantin, enfantilhage. Pour tant, nous avons les adjectifs indéfinis tantu et tanti et pour quant (graphie doublement étymologique), nous avons les adjectifs interrogatifs (et exclamatifs) quantu et quanti.

3. On trouve -ent au lieu de -en dans certains mots : c’est le cas de cent, dent, gent, souvent. Là encore, le T muet reflète un T(ou D) étymologique (latin centum, dentem, gentem, subinde). On remarquera que la graphie cent évite la confusion avec le relatif cen que, mais aussi que le T est sonore devant une voyelle (Ex : cent ome). Là encore, la notation du T étymologique est récente : on a au siècle dernier les formes sen, den, gen, souven (dans ce dernier cas, CASTELLANA n’emploie pas encore le T muet). Précisons toutefois que RANCHER écrit déjà sent, manifestant ainsi une exigence étymologique. Le mot argent s’écrit lui aussi avec le T étymologique (2), ce qui est amplement justifié par l’existence des dérivés argenterìa, argentin, argentié. De même, on écrit souvent en pensant à souventi fes ("maintes fois", en français archaïque "souventefois"). Des mots comme centenau, centenari justifient la graphie cent tout comme denticioun ou dentista justifient la graphie dent. Enfin le T muet de gent a son équivalent dans le T sonore de gentalha (populace, canaille).

4. Actuellement on écrit damount (et amount) plutôt que damoun ; mais cet usage, pourtant présent dans le Trésor du félibrige de Frédéric MISTRAL, a été longtemps ignoré par les auteurs niçois (CASTELLANA ne le donne pas dans son Dictionnaire - 1952). Quant au T du mot fouònt, il est, selon CALVINO parfois sonore, la plus souvent muet (3) (mais il y a lieu d’éviter la forme fuon vestige de graphie italianisante).

NOTES

(1) La préposition durant — qui est en fait le participe présent du verbe durà — s’écrit comme les participes présents avec un T final (ex : Durant l’iver, tant que lou vin nouvèu repauva en lu bariéu… F.GAG, Lou vin dei Padre).

(2) Le T muet d’argent n’apparaît pas encore dans le dictionnaire de CALVINO (1903) mais on le retrouve dans celui de CASTELLANA — même chose pour gent.

(3) On a le T muet dans l’emploi en composition du mot fouònt (ex : Fouònt Cauda)

Quelques réflexions à propos du "T" muet (2)

Après avoir présenté les cas où l’usage est établi, nous nous interrogerons sur quelques problèmes de graphie qui se prêtent à des suggestions dictées par l’analogie.

1. Le cas de l’adjectif sant : cet adjectif se termine normalement par un T qui est sonore (Ex. : un sant ome, Sant Antoni). Par contre, le T est muet lorsque cet adjectif précède un nom de saint avec une consonne initiale, par exemple le M de Miquèu. Dans ce cas, l’usage a prévalu en nissart de l’aligner sur le modèle italien qui, du fait de la chute de la syllabe finale de santo aboutit à la forme tronquée san (Ex. : San Michele). Sur ce modèle, on a écrit en niçois San Miquèu. Par contre, les Provençaux écrivent Sant Miquèu. Ne serait-il pas opportun pour les Niçois, compte tenu de leur appartenance à la langue d’Oc, d’avoir eux aussi recours à un T muet et d’écrire Sant Miquèu, Sant Jouan, etc… ?

2. Les substantifs en -men (-ment) : est-il bien raisonnable d’écrire alimen, alors que le mot est à l’origine de dérivés comme alimentari, alimentà, alimentacioun qui tous présentent un T ? Ne vaut-il pas mieux envisager la graphie aliment qui conserve le souvenir du latin alimentum ? De même, pourquoi écrire doucumen alors que les dérivés sont doucumentà, doucumentari, doucumentacioun ? Le T étymologique de la graphie doucument aidera le lecteur à sentir que tous ces mots font partie de la même famille. De la même façon, on pourrait écrire moument, ciment, divertiment, etc… (on peut d’ailleurs déjà lire moument dans le Théâtre de GAG)

Somme toute, il s’agit d’une simple extension de ce qui est déjà acquis pour des mots comme cent ou gent que personne n’envisage plus d’écrire sans T muet. Cette modeste proposition de réforme orthographique est faite par la commission de linguistique de L’escola de Bellanda qui la fait apparaître dans le lexique auquel elle travaille.

A ceux qui objecteraient que cette graphie risque de provoquer des prononciations erronées avec un T sonore, on pourrait répondre que le français s’accommode bien de la différence de prononciation entre prurit et gabarit, entre mat et format, comme il s’accommode des prononciations différentes de croc et roc ou encore de pistil et outil. En vérité, il n’est écrit nulle part que l’écriture d’une langue, ça ne s’apprend pas.

3. Le cas particulier des substantifs en -amen (-ament) : ces mots sont obtenus par l’adjonction à un grand nombre de verbes d’un suffixe de nom qui correspond exactement au suffixe français -ement, dont on sait qu’il peut désigner une action (Ex. : frottement), le résultat d’une action (Ex. : groupement) ou même un état (Ex. : isolement). On a donc en niçois des mots comme groupamen, isoulamen, etc… Généralement, ces mots n’ont pas de dérivés. Mais il arrive qu’ils soient eux-mêmes source de dérivés. Ainsi parlamen, dérivé de parlà, est lui-même à l’origine de parlamentà, parlamentari, parlamentarisme. De même, d’ournamen sont issus ournamentà, ournamental, ournamentacioun. L’existence de cette possibilité de dérivation nous incitera donc ici aussi à écrire avec un T étymologique muet parlament, ournament mais aussi groupament, isoulament, etc… Cet usage du T étymologique, loin d’être une fantaisie arbitraire, nous ramène aux sources de notre langue, telle que l’écrivait à la fin du XVème siècle Francés PELLOS dans son Compendion de l’abaco, où nous pouvons lire ensegnament (et non ensegnamen). (1)

Arrivé à ce point de notre étude, le lecteur se demandera sans doute si, dans les adverbes de manière en -amen, il y a lieu de rétablir le T final étymologique (latin mente). Cette idée n’est pas nouvelle : dès 1881, CALVINO remarquait dans sa Grammaire de l’idiome niçois (p.9) que " ces adverbes de manière… devraient, par raison d’étymologie, prendre un T final ". Et CALVINO aurait pu invoquer la présence systématique de ce T final chez PELLOS, par exemple (2). Mais dans ce cas, et peut-être dans la mesure où ces adverbes n’ont pas eux-mêmes de dérivés, CALVINO n’a pas retenu dans son dictionnaire l’idée de cette modification orthographique (3). Sans doute, l’urgence en est-elle moins forte. Si on s’en tient au statu quo, on peut, pour le justifier, mettre en avant l’intérêt, purement empirique, de faciliter la différenciation substantif-adverbe. Ainsi l’adverbe dignamen se différencie-t-il du substantif ensegnament et par exemple facilamen se différencie visuellement de parlament.

Cette étude aura permis de mettre en évidence l’emploi du T muet après la consonne N, emploi que l’on pourrait rationaliser en le rendant systématique. Mais encore faut-il que l’étymologie du mot le justifie. Qu’on ne s’y trompe pas : des mots comme man, can, tavan, pen, ben, tamben, calen, etc… ne s’écriront jamais avec un T muet, car cette lettre est absente de l’origine latine. Lorsqu’on hésitera, il suffira d’avoir recours à un dictionnaire mis à jour, dont le besoin est manifeste.

NOTES

(1) De même, PELLOS écrit " entendement ", " argent ", " tant ", " quant " et ses participes présents se terminent en -ant, et -ent. Il devance donc des choix qui s’imposeront cinq siècles plus tard.

(2) On lit dans la Cisterna Fulcronica : vulgarament, facilment, precisament, etc…

(3) Il est permis de le regretter.

 

Leçon 10 : Mais pourquoi écrivez-vous…

"falhita", "bulhì", "filha", "travalhà", "travalh"(1)
Et pourquoi ces graphies coexistent-elles avec les graphies fahita, buhì, fiha, travaià, et travai ?

Pour répondre à cette double question, nous demanderons au lecteur d’accepter de partir ... du français. Lorsque nous prononçons naïf, ébahi d’une part et taillis ou faillir d’autre part, il est clair que le son que nous prononçons après le A est différent : dans naïf, ébahi, il s’agit du simple son I, alors que dans taillis ou faillir nous avons le son qu’il est convenu d’appeler L mouillé (1). Pour ce son spécifique, le français a adopté la graphie -ILL- qui précède ici la lettre I (impossible d’écrire taïs ou tahis !). Cette opposition de sons se retrouve en nissart. Lorsque nous prononçons falhita (faillite) ou falhit nous n’avons pas le même son que dans la prononciation de paìs ou raìn (raisin). Il s’agit là encore du son dit L mouillé (peut-être est-il légèrement plus long en niçois). N’est-il donc pas normal que, pour un son spécifique, on ait proposé une graphie spécifique, c’est-à-dire le -LH- ? Cependant la graphie mistralienne a cru pouvoir faire l’économie d’une notation spécifique en confiant à la seule lettre H (avant ou après un I) le soin de rendre le son du L mouillé. (Ainsi GIORDAN écrit fahit comme il écrit fiha ou famiha). L’inconvénient majeur de cette graphie, c’est que le H a déjà une autre fonction : il indique une absence de diphtongaison, c’est-à-dire la séparation nette de deux syllabes. Ainsi on ne diphtongue pas dans la forme de numéral féminin pluriel douhi (2 syllabes), alors qu’on diphtongue dans le numéral doui (1 syllabe). Même opposition entre pehi (je pèse) et pei (poisson). La notation préconisée dans cet article évite toute ambiguïté. En écrivant falhita, on note le son L mouillé. En écrivant ahì (oui), on note l’hiatus (dissociation a/hi et en écrivant fai (fais-impératif), on traduit la présence de la diphtongue AI.

Ce signe -LH- (2), nos lecteurs le connaissent pour l’avoir lu dans l’œuvre d’auteurs récents (Francis GAG en particulier) et pour l’avoir trouvé dans le Dictionnaire de CASTELLANA, sans parler des articles du Sourgentin. Mais ce serait une erreur de croire à une création arbitraire. Il s’agit simplement du rétablissement d’une ancienne notation de notre langue, c’est-à-dire de la langue d’Oc: elle est caractéristique de ce qu’on appelle en littérature l’ancien provençal ou langue des troubadours. Dans notre littérature niçoise, il suffira d’ouvrir le Compendion de l’abaco, œuvre de Francés PELLOS pour trouver des mots comme filha ou molher (épouse) (3). Certes cette notation -LH- n’existe pas en français. Mais est-ce une raison pour nous priver d’une notation qui fait partie de notre patrimoine culturel ? Il serait assez plaisant que les Niçois, après s’être réclamés bien haut, vers 1860 - et cela à juste titre - de leur appartenance à la langue d’Oc, tournent le dos à un des traits caractéristiques de l’écriture de cette même langue d’Oc !

Les auteurs nissarts des siècles passés (XVIème à XIXème) confrontés au problème de la notation du son L mouillé s’étaient contentés d’un pis-aller en utilisant le -GLI- emprunté à l’italien. (RANCHER écrit : " GL précédé ou suivi d’un I exprime l’L mouillée des Français " ; aussi écrit-il travaglia, figlia). C’était un pis-aller dans la mesure où le son de l’italien figlia est assez différent de son équivalent nissart.

On peut regretter que MISTRAL n’ait pas adopté pour le provençal le -LH- qu’il utilise dans le Trésor du félibrige pour noter le vocabulaire languedocien. Une légère différence phonétique ne justifiait pas deux graphies différentes : filha languedocien et fiha provençal.

Arrivés à ce point de notre étude, nous pouvons illustrer par quelques exemples l’intérêt de la notation par -LH- dans d’autres séries de cas :

- Après un E - groupe -elhi- : le -LH- note par exemple le son L mouillé de drevelhi (je réveille). Le H seul note la non-diphtongaison dans vehi (je vois) à rapprocher de la prononciation du français véhicule.

- Après un U - groupe -ulhi- : on retrouve la même opposition phonétique entre bulhì (bouillir) (son L mouillé) et traduhi (je traduis) où le son I succède au son U comme dans le français ambiguïté.

- Groupe -ILH- suivi d’une voyelle : on peut citer une foule d’exemples (filha, familha, etc ... ) Le -LH- va distinguer clairement pilhi (je prends) de dihi (je dis). De même, il permet de différencier Camilha (Camille) de camiha (chemise) (4). Devant un E, on aura par exemple la distinction entre filheta (L mouillé), siheta (sittelle, torche-pot) (non diphtongaison) et sieta (assiette) (diphtongaison).

De tous ces exemples, on aura pu aisément conclure que la notation -LH- s’impose pour éliminer toute ambiguïté en matière de prononciation.

Nous nous sommes appliqués jusqu’ici à montrer l’insuffisance du signe H pour traduire le son du L mouillé. Reste à envisager le cas (devant une voyelle autre que le I et après une voyelle autre que le I) où la simple lettre I pourrait traduire le son qui nous intéresse. En d’autres termes allons-nous écrire travaià, dreveià, embrouià, paia, vièia, bouioun, etc ... ? Pourquoi renoncer à ces graphies très simples, qu’au surplus on trouve dans le Dictionnaire de CASTELLANA ? Nous ferons intervenir ici un critère de cohérence, c’est-à-dire l’exigence de la même notation pour le même phénomène linguistique. Si nous nous référons à la traduction des mots proposés (travailler, réveiller, embrouiller, paille, vieille, bouillon), nous constatons qu’ils présentent tous le groupe -ILL- qui note en français le son du L mouillé. Ils ont, avec les mots niçois, une racine latine commune. Il y a entre travaià et travailler la même parenté qu’il y a entre falhita et faillite. Il sera donc logique d’écrire travalhà avec le même -LH- qui a servi à écrire falhita (et de même drevelhà, embroulhà, palha, vièlha, boulhoun). Autrement dit, nous allons jusqu’au bout d’une démarche qui, chez Francis GAG ou dans le Dictionnaire de CASTELLANA, s’arrêtait à mi-chemin. La Grammaire du Nissart de Rémy GASIGLIA a consacré ce choix qui commençait à apparaître dans Lou nissart à l’escola (on lit par exemple à la page 23 du tome 2 : " Qu noun travalha d’estiéu, en iver si suça li oungla ").

On notera au passage que le choix du -LH- permet de distinguer le substantif la palha de l’adjectif féminin singulier paia (calme, paisible).

Enfin, le même désir de systématisation fait adopter le -LH- en finale. On renonce ainsi aux graphies -AI-, -EI-, -OUI- au profit de -ALH-, -ELH-, -OULH- et on écrit travalh, revelh, fenoulh. On dispose de plus de la finale -ILH- qui, seule, permet d’écrire de façon satisfaisante des mots comme charavilh (charivari) ou bisbilh (murmure). Ainsi lit-on charavilh sous la plume de A. COMPAN dans son Glossaire raisonné de la langue niçoise (1967 p.104) et dans l’Histoire de Nice et de son Comté (1973 p. 359).

Cette graphie permet de distinguer lou dalh (la faux) de l’article contracté dai ou encore lou doulh (broc, cruche) du numéral doui.

Notes :

(1) Il s’agit de la semi-voyelle dite "yod" notée [j] dans l’alphabet phonétique international . Ex : [taji], [faj:r].

(2) Les spécialistes disent "le digramme LH"

(3) Dans la Cisterna Fulcronica, la notation LH (ex : familha) coexiste avec le trigramme italien GLI

(4) Mais on lira plus loin la proposition de noter l’hiatus par un I accent grave (dìi, camìa).

 

Leçon 11 : Mais pourquoi écrivez-vous…

"falhita", "bulhì", "filha", "travalhà", "travalh" ou du bon usage du LH (2)

L : (lecteur perplexe) Le paragraphe final de votre dernier article m’inquiète énormément. Puisque vous préconisez la graphie travalh, voulez-vous me faire écrire froumalh ou lou mes de Malh ?

A : (auteur consterné) Aucunement. Il ne s’agit pas de plaquer cette graphie sur toutes les finales en voyelle suivie de I. Pour travalh, revelh, fenoulh, etc ... intervient le même fil conducteur que pour travalhà, drevilhà, etc...c’est-à-dire le parallélisme avec des L mouillés français (travail, réveil, fenouil), ce qui est l’indice d’une affinité linguistique, qui peut faire penser à une racine latine commune. Ce parallélisme n’existe pas entre froumai et fromage et les mots français fromage, Mai, ne présentent pas de L mouillé.

L : Me voilà rassuré. Mais vous avez dit "racine latine". Allez-vous donc nous infliger un recours à l’étymologie ?

A : Oui, dans la mesure où on ne peut faire autrement. C’est en effet la nature de la racine latine qui a déterminé l’apparition du son palatal qui nous intéresse. D’une façon générale, nous dirons que le son noté -LH- est le résultat de l’évolution de la racine latine (ou assimilée) dans deux séries de cas.
1. Les cas où on a -LI- (ou -LE-) suivi d’une voyelle : ainsi filia, qui donne filha - palea, qui donne palha, tripaliu(m), qui donne travalh, etc ...
2. Les cas où se sont constitués les groupes intervocaliques -CL- ou -GL- : ainsi fenuc(u)lu(m) donne fenoulh, acuc(u)la donne agulha, mirac(u)lu(m) donne miralh, vig(i)lare donne velhà, etc ...

L. : Vous venez de dire miralh : cela me fait penser à la rue Miralheti à Nice, où j’avais noté ce LH qui vous tient tant à cœur. Aucun rapport sans doute ...

A. : Erreur ! Cette rue honore le souvenir d’un peintre primitif niçois dont le véritable nom (ou surnom) paraît avoir été "miralhet" (petit miroir).

L. : Tout cela est peut-être fort beau, mais vos lecteurs ne sont pas tenus de savoir le latin. Comment pourront-ils distinguer les mots où on emploiera le LH des mots où on écrira un simple I comme pour froumai cité plus haut. Ce vieux mot qui désigne l’épouse, vais-je l’écrire mouié - comme CASTELLANA - où vais-je l’écrire moulhé avec votre LH ?

A. : "Mon" LH (comme vous dites peu aimablement), PELLOS l’employait au XVème siècle en écrivant molher. Mais là n’est pas la question. Lorsque le français ne nous propose pas un mot de même racine, il nous reste la possibilité d’aller chercher une forme proche dans une autre langue romane (catalan, espagnol, portugais, mais bien sûr en premier lieu l’italien). Ainsi, dans le cas que vous évoquez, l’italien moglie me confirme que je suis en présence d’un L mouillé, pour peu que je sache que l’italien figlia est le symétrique du niçois filha. De même, l’existence de l’italien doglio (dolium, jarre en poésie) me suggère la graphie doulh (broc, cruche) - la graphie doui étant réservée pour le numéral deux. Le plus souvent, nous serons en présence à la fois d’un symétrique italien et d’un symétrique français. Ainsi l’italien aglio et le français ail dictent la graphie alhet ; l’italien guglia et le français aiguille font que j’écrirai agulha et non aguïa.

L.: Cette idée du rapprochement avec l’italien est sans doute intéressante, mais au lycée je n’ai étudié que l’anglais et l’allemand ...

A. : Tiens ! Pourquoi s’être privé de l’étude de la langue de son voisin ? ... Mais qu’à cela ne tienne : il nous reste un ultime recours et non des moindres : la lecture attentive de l’œuvre de RANCHER ou encore de la Grammaire de MICÈU, deux auteurs qui ont utilisé une graphie proche de celle de l’italien. Plus précisément, on trouvera chez ces deux auteurs le -GLI- en position intervocalique. Ex : la fueglia (la feuille). MICÈU, influencé par le français, fait souvent précéder le -GLI- d’un I inutile et écrit vieiglia, paiglia, taiglia, alors que RANCHER écrit vieglia, taglia, paglia (notre graphie étymologiquement justifiée sera donc vièlha, palha, talha). En position finale, nos deux auteurs adoptent des solutions différentes : MICÈU conserve la notation -GLI- (réduite à -GL-) et écrit donc travaigl, rouigl (la rouille), recueigl (le recueil). RANCHER, lui, est influencé par l’orthographe du français et écrit travail, badail (baillement), douil, (broc, cruche), ueil (œil), rail (braiment), ferrouil (verrou), tail, buil (ébullition), etc. Nous en déduirons les graphies (étymologiquement justifiées) fuèlh, travalh, roulh, recuèlh, badalh, doulh, uèlh, ralh, ferroulh, talh, bulh, etc (1).

L. : Et je suppose que, comme on écrit talha, on écrira sartalha pour la poêle et pantalhà pour rêver ...

A.: Désolé de vous décevoir ! Il n’en est pas question, car il n’y a pas d’étymologie qui justifie ces graphies (2); et d’ailleurs vous ne trouverez jamais chez RANCHER sartaglia ou pantaglia : la simple voyelle palatale I placée entre deux voyelles, RANCHER la note par un J (que l’italien appelle "I long", et qui ne doit pas être confondu avec la consonne française J). Il écrit donc sartaja, ciamineja, ce que nous écrivons de nos jours avec un I : sartaia, chamineia. En finale, la graphie est plus simple : il écrit un simple I lorsqu’il n’y a pas palatalisation d’un L. Ainsi écrit-il fromai (actuellement froumai) ou palai (comme de nos jours) pour le palais.

L. : Je comprends mieux maintenant votre démarche. Vous vous déterminerez ou non en faveur d’un -LH- selon ce qu’aura écrit RANCHER. Ainsi vous écrirez maioun (et non malhoun) parce qu’on lit chez RANCHER majon et non maglion.

A.: C’est cela même. Mais il faut ajouter que la lecture assidue de RANCHER a pour effet de nous familiariser avec les mots dont l’écriture requiert le -LH-. Ainsi une relecture du chant premier de La Nemaida nous permet de relever au fil des vers : "papigliota", "Paglion", "piglià", "figlia", "veglia", "reveglia", "bataglia", "cotiglion", "taglia" et "paglia" qui nous dictent les graphies (étymologiquement justifiées) papilhota, Palhoun, pilhà, velha, revelha, batalha, coutilhoun, talha et palha ...

L. : Comment ? Vous renoncez à écrire Paioun ? Cela me paraît bien hasardeux ...

A. : Et pourtant ... avec cette graphie, ce toponyme retrouverait sa forme médiévale et sa racine "palh" (paroi raide) tout comme " Pelha " et " Pelhoun " (Peille et Peillon) (3). La graphie Paioun qui vous semble la seule "supportable" a moins d’un siècle : le dictionnaire de CALVINO (1903) fait encore écrire Paillon ; de même, il fait écrire paillassa et non paiassa (graphie CASTELLANA). Tout est affaire d’habitude.

L. : Me ferez-vous également écrire parpalhoun (papillon) ?

A.: Mais oui ! Tout nous y incite : la racine latine papilionem et la graphie de RANCHER "parpaglion".

L. : Encore RANCHER ! Cette graphie vous semble vraiment significative.

A. : Assurément, car les choix de RANCHER (et de MICÈU) sont de nature à nous faire réfléchir. Il incombe aux détracteurs de la notation par le -LH- de nous expliquer pourquoi MICÈU se complique la vie à écrire recueigl au lieu de recuèi, pourquoi RANCHER (imité dans ce cas par M. COMPAN, Glossaire p 115) écrit douil au lieu du plus expéditif doui, pourquoi Micèu et Rancher s’appliquent à écrire travaglià (ou travaiglià) au lieu de l’expéditif travaià, ou encore vieglia au lieu de vièia (4).

Notes

(1) Il est sans doute bon de rappeler que dans un cours professé à l’Université de Nice, M. COMPAN conservait l’ancien groupe LH en position finale et préconisait les formes douilh, rouilh, ferrouilh, pehouilh, trueilh, somme toute assez proches de la graphie que nous préconisons.

(2) Sartaia dérive du latin sartago et pantaià du latin phantasiare.

(3) A. COMPAN, Le Comté de Nice (p. 373).

(4) L’auteur se fait un devoir de signaler que cet article doit beaucoup à la Grammaire du Nissart de Rémy GASIGLIA (p. 41/42, 96/97 ...) - on s’en doutait - mais aussi, pour l’information philologique, à la précieuse étude d’Albert ROSSO : Essai d’une étude de phonétique historique de la langue de Nice.

 Leçon 12 : Mais pourquoi écrivez-vous…

"Una plassa de Nissa", "Una plaça de Nissa" ou una "Plaça de Niça"? (1)

"Plassa Carlou-Aubert"  c’est ce que, depuis 1983, on lit sur une plaque dans la partie sud de la place Masséna : l’inscription, destinée à rappeler le passé de la ville, a suscité la perplexité d’un de nos lecteurs qui attendait la forme plaça donnée par nos ouvrages d’enseignement du niçois. Ce lecteur a évidemment raison d’écrire plaça, mais comment expliquer qu’on ait écrit plassa en 1983 ?

1. Peut-être a-t-on voulu donner la graphie qu’on aurait utilisée avant 1860, à l’époque où seule était en usage la graphie adaptée de l’orthographe italienne et présente en particulier dans l’œuvre de RANCHER et de GUISOL (1) (On sait que dans cette graphie, le son [S] est toujours noté S après une consonne et -SS- en intervocalique). Mais on pourra se demander pourquoi cette démarche n’a pas été adoptée pour la " placeta (écrit " placetta ") dóu Malounat ".

2. Aussi peut-on se demander s’il n’y a pas eu, au moins au niveau de l’inconscient, une répugnance à l’emploi du Ç. On sait que dans la graphie actuelle, ce signe, en concurrence avec le S, peut servir à rendre le son [S] devant un A, un O ou un U (Ex : fouorça, façoun, farçun) et généralement les mots français correspondants s’écrivent avec un C (force, façon, farce). Selon quel critère emploie-t-on le Ç plutôt que le S (ou -SS-) ? C’est en fonction de l’étymologie, et cela dans les mêmes conditions où apparaît en français le C au lieu du S (ou -SS-). Il existe 2 séries de cas :

- la plupart des mots qui présentent un C étymologique :

Ex : cerieia (cerise) du latin vulgaire ceresiam, Prouvença (Provence) du latin provinciam.

- des mots qui présentent à l’origine le groupe TI + voyelle (ou TE + voyelle)

Ex : fouòrça (force) du bas latin fortiam, lançòu du latin linteolum qui a donné en français linceul,  Vença (Vence) du latin Vintia.

C’est à cette dernière série qu’appartient plaça, dérivé du latin plateam. Par contre, des mots comme serious, òufensa, entorsa, classa, s’écrivent (comme leurs équivalents français sérieux, etc.) avec un S (ou -SS-) dans la mesure où ils ne relèvent d’aucune de ces deux familles d’étymologie. Telle est donc la norme, appliquée par les bons auteurs (et pour " plaça ", on citera avec plaisir la petite pièce de Juli EYNAUDI : Una bouòna plaça (1924) (2). Mais cette norme se heurtait à la force d’inertie des habitudes acquises. Et, alors que le C devant un E ou un I s’imposait facilement, sans doute grâce à la ressemblance avec le français (Ex : necessari, justicia), le Ç surtout devant un A était l’objet d’une certaine réticence. Encore de nos jours, certains auteurs, pourtant qualifiés, hésitent entre glaça et glassa, entre neça et nessa ou entre peça et pessa et, en particulier, entre plaça et plassa (3).

Certains sont même allés jusqu’à dire que le Ç, emprunté au français et inconnu de la langue du moyen âge, n’avait pas droit de cité chez nous. Cela ne revenait-il par à remettre en cause la graphie mistralienne dont les principes avaient été introduits chez nous en 1881 par la Grammaire de CALVINO et SARDOU ?

Cette résistance - plus ou moins consciente- à l’emploi du Ç devant un A pourrait également expliquer pourquoi de nos jours, les usagers niçois de la graphie mistralienne écrivent Nissa et nissart. Mais ici s’impose un rapide historique de la question.

Avant l’arrivée à Nice des principes de la graphie mistralienne, on écrivait évidemment Nissa et nissart puisque le son [S] ne pouvait être noté dans la graphie traditionnelle que par l’emploi de la lettre S (ou -SS- entre voyelles). C’est ainsi qu’écrivaient, entre autres, RANCHER et GUISOL. Mais en 1881, la Grammaire de CALVINO et SARDOU introduit la graphie Niça (d’où dérive logiquement l’adjectif niçart, comme de faça dérive le substantif façada). Pourquoi cette nouvelle graphie ? Les auteurs sont on ne peut plus clairs : "C’est par raison d’étymologie que nous écrivons Niça et non Nissa". En effet, dans la forme latine Nicia, il y avait bien le C étymologique qui justifie le Ç moderne. De même, le C étymologique du latin vulgaire limaciam nous fait écrire limaça (et non limassa) et nous écrivons glaça à cause du C étymologique du latin vulgaire glaciam. Cette nouvelle graphie est présente, dès 1884, avec l’édition posthume des Cansoun niçardi d’Eugène EMANUEL (dont la plus célèbre est La mièu bella Niça). Juli EYNAUDI pratiquera également cette graphie (on lit Niça dès 1905 dans Lou terno et niçart dans Lou retour de Pierrot (1922) et c’est "L’Armanac Niçart" qu’EYNAUDI avait fondé en 1903 et qu’il dirigea jusqu’en 1922. Quant à Joseph GIORDAN, c’est à notre connaissance pendant toute sa vie qu’il a écrit Niça et niçart. Une de ses premières œuvres est l’ode Niça francesa (1910) et sa dernière grande œuvre présente Lu Evangèli (Les Evangiles) " traduch en dialète niçart " (1957) et il est peut-être bon de rappeler ici que si, en 1931, l’Acadèmia a adopté la graphie mistralienne, c’est à lui qu’on le doit.

En 1823, Lu amic de RANCHER honorent par un buste (toujours visible Place Vieille) "Rosalindou RANCHER poueta niçart". En 1937 dans Lou vin dei padre, Francis GAG emploie le Ç : "lu Turc ferouge… plantèron li siéu tenda à l’entour de Niça…", "Lu niçart, jamai, parlèron de si rendre !"

Cette graphie était-elle définitivement acquise ? Notre prochain article montrera qu’il n’en était rien.

NOTES

(1) " Lu café son farsit, e soubre la Terrassa / per contenì doui cat non si trova de plassa " (La Nemaïda, VI, 163/4)

(2) Plus près de nous, dans la pièce de Raoul NATHIEZ : 39-40, nous avons la satisfaction de lire : " Vau fa una manilha au Café dei Alliés, en Plaça Garibaldi "

(3) " Lou passa-carrièra aduguèt lu felibre au medaioun Mozart qu’èra despì lou 1930 en l’ouòrt de la plassa Mozart ". (Brochure de La festa dóu felibrige, 1982, p.2, texte de M. COMPAN). Mais le même auteur avait donné le terme plaça en 1967 dans son Glossaire raisonné de la langue niçoise.

 Leçon 13 : Mais pourquoi écrivez-vous…

"Una plassa de Nissa", "Una plaça de Nissa" ou una "Plaça de Niça"? (2)

Nous avons vu dans le précédent article qu’une application cohérente de la graphie mistralienne avait fait adopter les formes Niça et niçart employées pendant plus de quatre-vingts ans par d’excellents auteurs. Mais, dans ce cas particulier, cette graphie se heurtait à la force d’inertie des habitudes acquises et à l’activité des tenants de la graphie traditionnelle qui, rétifs à l’égard de la graphie mistralienne, restèrent longtemps fidèles aux formes employées par RANCHER. Finalement, ce furent les formes Nissa, nissart, qui l’emportèrent définitivement dans les années soixante. Mais elles n’avaient jamais disparu. Ainsi, en 1903, Menica RONDELLY publie la chanson Nissa la bella. Le 14 mai 1904, est fondée l’Acadèmia nissarda. En 1925, voit le jour grâce à Jouan NICOLA, la Ciamada nissarda, dont le nom témoigne de la vitalité de la graphie italianisante à la fois dans le substantif ciamada (pour chamada) et dans l’adjectif nissarda (pour niçarda).

Chose plus surprenante, les tenants de la graphie mistralienne (à l’exception de Joseph GIORDAN) ont assez rapidement, dans ce cas particulier, baissé les bras devant cette survie graphique du passé. Dès 1903, CALVINO publie son Dictionnaire où, sans commenter la chose, il a renoncé globalement au Ç et il écrit plassa, fassa, pessa, etc. et bien sûr, Nissa et nissart. Bien qu’elle ait adopté officiellement la graphie mistralienne, l’Acadèmia nissarda ne corrige pas son nom en Acadèmia niçarda (forme que pourtant certains membres comme Théodore GASIGLIA avaient osé employer). Et lorsque EYNAUDI rédige son Dictionnaire de la langue niçoise (1931-38) il écrit Nissa et nissart, renonçant ainsi sans raison à la graphie de ses débuts.

Certes, le précieux dictionnaire de CASTELLANA (1952) donne encore les formes Niça et niçart, mais désormais le ver est dans le fruit. En 1956, Francis GAG fonde Nissa la Bella et en 1965, deux ans après la mort de GIORDAN, la Grammaire de M. COMPAN, après avoir cité (p. 17) la forme Niça, dit en note " On écrit plutôt Nissa ", mais sans justifier cette dernière graphie qui ne sera plus remise en question (1).

Certains ont qualifié de " provençalisante " la graphie Niça, niçart. Il n’en est pourtant rien : ces mots ne sont pas plus provençaux que plaça ou França (2). Il s’agit simplement de l’application, dans le Comté de Nice comme ailleurs, des principes de la graphie mistralienne. Sans doute faut-il voir dans cette régression à la forme traditionnelle une sorte de revendication identitaire, comme si les Niçois avaient eu peur d’être niés en tant que tels et colonisés par les Provençaux. N’est-il pas toutefois paradoxal qu’une graphie italianisante se trouve investie de la défense de l’identité niçoise ? Et si, pour justifier cette étonnante exception, certains soutiennent qu’on ne pouvait pas changer l’appellation historique de la ville et de ses habitants, on répondra facilement que la ville languedocienne de Cette a bien changé son nom en Sète sans que, à notre connaissance, cela ait provoqué des drames…

Mais notre étude ne serait pas complète sans une interrogation sur le terme français approprié pour désigner notre idiome. Si on fait abstraction de l’adjectif (et substantif) " niçois ", qui ne pose aucun problème, on constate que les structures linguistiques du français (sur le modèle de la dérivation " face / façade " ou " glace / glaçage " devaient nécessairement produire, comme dérivé du mot Nice, l’adjectif (et substantif) niçard, avec, dans ce cas, l’utilisation du suffixe d’origine allemande -ard / arde tel qu’on le trouve dans des mots comme " savoyard " ou " briard ".

Le terme niçard dérivé de Nice n’est pas plus étonnant que le terme " chançard " dérivé de " chance ". C’est cette forme qu’ont employée nos bons auteurs, en commençant par RANCHER dans la préface de la Nemaïda (" … on a rarement écrit et plus rarement imprimé en niçard… "). C’est cette même forme qu’emploient EYNAUDI et GIORDAN (pour ne citer qu’eux). C’est encore cette forme qu’emploie le chanoine CASTELLANA dans sa préface au Dictionnaire français-niçois : " Nous avons été guidés par la seule arrière-pensée de rester niçois. Le niçard est ce qu’il est… " (1947). En 1956, l’étude que Christiane BAILET consacre à l’auteur de la Nemaïda est intitulée J. R. RANCHER et le dialecte niçard.

Mais la réaction identitaire qui avait fait, en niçois, préférer la forme nissart à niçart a étendu, contre toute attente, son effet jusqu’au français et, dès les années vingt, on a vu apparaître, dans des textes français, l’adjectif ou le substantif nissart qui n’est rien d’autre que le terme dialectal transposé de force dans le français au prix d’une entorse aux structures de la langue. Ainsi, dans son Anthologie de la littérature niçoise, M. COMPAN évoque " le génie intrinsèque du nissart ".

Désormais, tout le monde, y compris les milieux universitaires, emploie le terme nissart et son dérivé nissardisme (3). Or, même si on fait abstraction de l’étymologie, il n’en reste pas moins que, de même que l’équivalent français de mots niçois comme bastart ou galhart est bâtard et gaillard, l’équivalent de nissart / nissarda ne peut être qu’une forme en -ARD / -ARDE, pour la simple raison que le suffixe -ART n’existe pas en français.

NOTES

(1) (Il convient toutefois de préciser que les adeptes de la graphie classique (occitane) ont conservé la forme Niça en fonction de la même exigence de fidélité à l’étymologie. Ainsi on peut lire dans Lo grand viatge de René TOSCANO " … una fònt bolhadissa / qu’anava en grand tumulte à reversar / dins un valat que pas jamai à Niça / Palhon encolerit foguèt parier " (chant XI). Et en 1998 cet auteur a publié une excellente Gramàtica niçarda.

(2)  Ce qui, par contre, était critiquable, c’était la prétention de certains félibres de faire écrire, dans notre langue, niçard, avec un D final : en effet ce D, parfaitement compatible avec la prononciation du provençal (D final muet), ne l’était pas avec la prononciation niçoise (T final sonore) qui rendait nécessaire le recours à la forme niçart conforme à la spécificité phonétique du niçois et employée par les bons auteurs comme GIORDAN, qui reste un modèle pour la maîtrise de la langue (Ex : son étude Li fèsta poupulàri dóu païs niçart, 1933).

(3) Je m’y suis moi-même résigné, mais sans enthousiasme…

 Leçon 14 : Quand emploie-t-on « dei », quand emploie-t-on « dai » ? (1)

Lou vin dei Padre (F. GAG) ou Lou festin dai Cougourdoun (Menica RONDELLY) ? La guerra dei truèia si farà pas (NATHIEZ) ou Lu festin dai Rangou (Anthologie de la chanson niçoise) ? Les élèves de niçois sont désorientés par ces formes contradictoires et ils ont le droit - surtout ceux qui auront à rédiger du niçois - à un peu de rigueur tout comme dans les autres langues qu’ils étudient.

Si on se demande quelle est en nissart la traduction de l’article défini contracté des, la complexité de la réponse réside dans le fait que :

- à la préposition française de correspond en nissart tantôt la préposition de, tantôt la préposition da.

- il y a eu une évolution dans le temps de certains formes d’articles contractés.

- plus particulièrement les formes dei et dai, distinctes de nos jours, ne l’ont pas toujours été dans le passé.

Ce qui est acquis, c’est qu’en niçois moderne, la forme dei s’emploie, aussi bien au masculin qu’au féminin, lorsque l’article défini pluriel est contracté avec la préposition de. Ex : Lou vin dei padre - Lou festin dei Verna ( mot à mot : lou vin de lu padre ; lou festin de li Verna). Par contre la forme dai s’emploie, aussi bien au masculin qu’au féminin, lorsque l’article défini pluriel est contracté avec la préposition da.

Ex : « Vau dai mieu amic » (Je vais chez mes amis) = mot à mot « vau da lu mieu amic ».

« Lou vent gelat que ven dai mountagna » (le vent glacial qui vient des montagnes) = mot à mot « que ven da li mountagna ».

Mais que trouve-t-on chez RANCHER, qui est, à bien des égards, le « père » du niçois moderne et dont la Nemaïda a joué le rôle de modèle littéraire pour les générations passées ?

1) AU MASCULIN PLURIEL :

Dans la Nemaïda (1823), une seule forme - dai - est employée. Ex : « La verdura DAI camp » (l’herbe des champs). La préposition niçoise de est contractée avec l’article lu. « Lou poble aterrit dai crit » (Le peuple atterré par les cris). La préposition da est contractée avec l’article lu.

C’est cette ambiguité qui est à l’origine de formes qui sont à éviter de nos jours, comme Lou festin dai Cougourdoun. Il ne faut pas oublier en effet que, dès La Mouòstra raubada (1830), RANCHER, à la suite d’une réflexion sur la langue et d’une comparaison avec les autres dialectes d’Oc, affine son analyse et pour rendre des réalisations phonétiques proches, distingue au pluriel les formes dei (de+li) et dai (da+li) tout comme au singulier il distingue dou écrit de nos jours dóu - (contraction de de - lou) et dau (contraction de da - lou).

Ainsi, parlant de la « babarota », il écrit : « dou repau dei mourtau implacable enemic », ce qu’il aurait écrit en 1823 : « dau repau dai mourtal implacable enemic ».

Par contre, au chant III de La Mouostra, parlant de Béatrice de Portugal, duchesse de Savoie - « la nobla Beatrix » - il écrit : « Eloagna dai dangié lou tendre Filibert » (elle éloigne des dangers le tendre Philibert). Car dans ce cas, le nissart, pour rendre l’éloignement, utilise la préposition da. (cette préposition, qu’on ne retrouve pas dans les autres dialectes d’Oc, a été empruntée, sinon à l’italien, du moins aux dialectes proches, le piémontais et le ligure).

On voit donc bien bien qu’il ne saurait y avoir d’utilisation correcte de la forme dai (et de la forme dau au singulier) sans une bonne connaissance des différents emplois de la préposition da. Cette préposition est bien analysée dans la Grammaire du nissart de Rémy GASIGLIA. Aussi nous limiterons-nous en cette période de célébration du bicentenaire de RANCHER. à revoir les principaux emplois de da en relisant La mouostra raubada et les Fabla nissardi.

A) da peut introduire un complément de lieu, en indiquant le lieu d’où l’on vient, l’origine, l’éloignement (1) :

dans la fable 52, la dinde dit aux canetons qu’elle élève : » Quache noun sourtit dai mieu flanc, Per vautre l’amour mieu es tan pur e tan franc... » (Bien que vous ne soyez pas sortis de mes flancs, Pour vous mon amour est si pur et si sincère).

B) da introduit le complément d’agent :

de la « nobla Beatrix », RANCHER dit : « Dai couor dei bouoi Nissart ben leu s’es facia entendre. » (Des coeurs des bons niçois, bien vite elle s’est fait entendre).

Vers intéressant car il montre bien la distinction entre dai introduisant le complément d’agent et dei qui introduit le simple complément de nom.

Dans la fable 5, nous trouvons : « Poursuivit dai cassaire un malurous Reinart » ( poursuivi par les chasseurs, un malheureux Renard)

et dans la fable 28 : « Suivida dai sieu can,dei cassaire l’orribla banda » (l’horrible troupe des chasseurs suivie de ses chiens).

En français, le complément d’agent est introduit selon le cas par les prépositions par ou de.

C) da peut introduire un complément de cause (plus particulièrement de cause interne) (2).

Au chant V de La mouostra, la malheureuse Serieja, après avoir accablé de reproches l’inconstant Meriglion, « dai tourmen che l’assiegion, tomba e s’evanouisse en lu bras che la riegion. » (en proie aux tourments qui l’assiègent tombe et s’évanouit dans les bras qui la soutiennent).

D) Par contre, et cela sans exception, c’est la préposition de (et l’article contracté pluriel dei) qui introduit le complément de nom : ainsi la fable 8 a pour titre : Lou mestre de musica dei passeron

Il en va de même pour le complément d’adjectif : au chant III de La mouostra, Béatrice de Savoie peut compter sur les Niçois ; elle est « Certa de l’amour sieu, segura dei sieu bras » (certaine de leur amour, sûre de leurs bras).

C’est encore la préposition de qui introduit le complément indirect d’objet : « Dei doulou dou Doutour toui lu gherrié s’atriston » (des douleurs du Docteur, tous les guerriers s’attristent)

E) Enfin, il semble bien que, sauf quelques hésitations ou distractions, RANCHER utilise cette même préposition de (et non da) pour introduire le complément de moyen, surtout quand ce dernier désigne des parties du corps. (cas où on trouve DE en français).

Dans la fable 45, l’enfant effrayé « ploura, pista dei pen, sanglota » (il pleure, trépigne, sanglote).

Dans la fable 13, Medor se hâte, « gieuga dei pen » (mot à mot : joue des pieds)

Au chant II de La mouostra, le cadre des amours du Docteur et de Ghidon est ainsi décrit :
« trouvas ... Per rideu de tissut de la plus fina stofa, / Che la bella Aracné, dei sieu det delicat / ai poustat, au plafon ela meme ha fixat » (v.504/507)

(vous trouvez ...pour rideaux des tissus de la plus fine étoffe, Que la belle Arachné, de ses doigts délicats, aux cloisons, au plafond de ses doigts a fixés).

Et au chant VIII, nous lisons : « batent l’er dei bras » (battant l’air des bras, c’est à dire avec ses bras)

En cohérence avec ces formes de pluriel, l’auteur emploie dou (de + lou) au singulier. Ainsi, au début du Chant III de La mouostra, le battant de cloche de Sainte Réparate réveille de son tintement argentin le Docteur. « dou sieu son argentin reveglia lou Doutour. »

Et ailleurs on peut lire « batre dou nas », « batre dou bec », qui s’écriraient en niçois moderne dóu nas – dóu bec.

N’est-ce pas là un exemple qu’il conviendrait encore d’imiter de nos jours ?

EYNAUDI ne s’y trompait pas, qui note dans son Dictionnaire : « picà dóu cuou »  (faire banqueroute) et cite le proverbe « Qu courre pica dóu mourre » (Celui qui court tombe la tête la première).

Il n’est peut-être pas inutile d’ajouter que ni l’italien, ni le piémontais ou le ligure n’utilisent la préposition da pour introduire le complément de moyen. Le lecteur qui nous aura suivi dans notre réflexion conclura donc qu’il faut dire et écrire de nos jours Lou festin dei Cougourdoun, Lou festin dei Rangou et il parlera, par exemple, de « l’estudi dei parlà d’Oc » (et non dai).

Leçon 15 : Quand emploie-t-on « dei », quand emploie-t-on « dai » ? (2)

Lou vin dei Padre (F. GAG) ou Lou festin dai Cougourdoun (Menica RONDELLY) ? La guerra dei truèia si farà pas (NATHIEZ) ou Lu festin dai Rangou (Anthologie de la chanson niçoise) ? Les élèves de niçois sont désorientés par ces formes contradictoires et ils ont le droit - surtout ceux qui auront à rédiger du niçois - à un peu de rigueur tout comme dans les autres langues qu’ils étudient.  

Si on se demande quelle est en nissart la traduction de l’article défini contracté des, la complexité de la réponse réside dans le fait que :  

- à la préposition française de correspond en nissart tantôt la préposition de, tantôt la préposition da.  

- il y a eu une évolution dans le temps de certains formes d’articles contractés.  

- plus particulièrement les formes dei et dai, distinctes de nos jours, ne l’ont pas toujours été dans le passé.  

Ce qui est acquis, c’est qu’en niçois moderne, la forme dei s’emploie, aussi bien au masculin qu’au féminin, lorsque l’article défini pluriel est contracté avec la préposition de. Ex : Lou vin dei padre - Lou festin dei Verna ( mot à mot : lou vin de lu padre ; lou festin de li Verna). Par contre la forme dai s’emploie, aussi bien au masculin qu’au féminin, lorsque l’article défini pluriel est contracté avec la préposition da.  

Ex : " Vau dai mieu amic " (Je vais chez mes amis) = mot à mot " vau da lu mieu amic ".  

" Lou vent gelat que ven dai mountagna " (le vent glacial qui vient des montagnes) = mot à mot " que ven da li mountagna ".  

Mais que trouve-t-on chez RANCHER, qui est, à bien des égards, le " père " du niçois moderne et dont la Nemaïda a joué le rôle de modèle littéraire pour les générations passées ?  

1.      AU MASCULIN PLURIEL :  

Voir la leçon précédente  

2.      2) AU FÉMININ PLURIEL :  

Dans ce domaine, il y a eu carrément évolution de la langue (seules les langues mortes n’évoluent plus). Les formes de l’époque de RANCHER sont aujourd’hui désuètes. On trouve en effet chez RANCHER les structures non contractées :  

de li (pluriel de de la) et da li (pluriel de da la).  

Dans le résumé (Argumen) du chant VII de la Nemaïda, on peut lire :  

" Gran mescla de li doui armada, retreta dai Sacrestan "  

Au chant V, Culandrina demande : " Che proufit v’es restat de li vouostri fatiga ? "  

Et aucun Niçois n’ignore les paroles de Nissa la bella :  

" O la mieu bella Nissa, regina de li flou "  

On trouve évidemment la préposition da pour introduire le complément d’agent " Suivida da li sieu Culandrina s’avara ... " (suivie des siens Culandrina s’élance…) et au chant VII de La mouostra, l’auteur parle d’une table (" un lonc taulié ") " prontamen sesit da li catre femela " (promptement saisi par les quatre femelles). Dans la fable 66, le genêt dit à l’œillet :  

" Aja sies caressat da li ninfa volagi " (là-bas tu es caressé par les nymphes volages).  

Ces formes disparaîtront progressivement pour céder définitivement la place, dès le début de notre siècle, respectivement à dei et dai. Le féminin pluriel, par un phénomène d’assimilation, s’est donc aligné sur le masculin pluriel. II n’y a aucune outrecuidance à dire que, s’il écrivait de nos jours, RANCHER lui-même dirait : " Gran mescla dei doui armada, retrèta dei Sacrestan ".  

On ne dirait plus de nos jours Lou festin de li Verna, Lou festin de li midineta. Parler du " renouvèu de li fèsta loucali ", ce serait faire le choix d’un vain archaïsme.  

Il n’en va pas de même pour un écrivain, qui puise librement dans les multiples aspects d’une langue. C’est ainsi que GAG peut écrire, dans Lou sartre Matafieu " au moument de li fèsta " ou " la sèda dei atour de li dama de la Court " mais c’est un choix volontaire qui contribue efficacement à donner une allure ancienne au dialogue (il ne faut pas oublier que, si la pièce est jouée en 1932, l’action, elle, se déroule en 1830) ; de plus l’auteur n’est pas lié par son choix initial, puisqu’il parle de " l’Ordre dei Souòrre de Santa Petrounila " (II, 8).  

Notes :  

(1) Mais l’origine est marquée par la préposition DE devant un nom de localité (vèni de Marsilha), devant un nom commun indéterminé (souòrte de maioun, ven de la vila) et devant un adverbe (de doun vènes ? vèni de luèn).  

(2) Le complément de cause peut aussi être introduit par DE. RANCHER semble avoir hésité entre les deux prépositions si on en juge par un vers de La Mouòstra raubada (3482) : se che veni de dire ti fa mourir dau souon, o ben crepar dou rire ? On attendrait dau (ou dóu) dans les deux cas (ce que je viens de dire te fait mourir de sommeil ou bien crever de rire ?).

Leçon 16 : Les prépositions : deux points de syntaxe

I - Usage de la préposition d’appui À :

« Doun v’en anas filheta,  m’au cavagnau au bras ? » (chanson traditionnelle)

« m’au cavagnòu » : (avec) le panier au bras.

Nos élèves, qui ont appris qu’avec se traduit par embé ou mé, butent sur cette forme inattendue. Et cette forme mérite sans doute qu’on s’y arrête, car  nos grammaires n’en parlent pas.

La réponse est simple : dans la forme m’au, nous avons mé élidé, suivi de l’article contracté au (combinaison de la préposition à et de l’article lou). Nous pouvons donc dire que, devant un substantif masculin singulier, la préposition mé a été construite avec la préposition d’appui à, pratique tout à fait étrangère à l’usage français.

De même, devant un substantif pluriel, dans la mesure où à + lu (ou li) = ai, on aboutira à la forme m’ai et on dira m’ai amic (avec les amis).

Ce qui est vrai pour mé l’est également pour les prépositions embé ou emé, d’où les formes em’au, em’ai, emb’au, emb’ai.

C’est ainsi que RANCHER évoque « lou temp destrutour, emb’au dail a la man » et nous dit, dans un autre passage, que « Parpagnaca emb’ai sieù traversa lu bastion » (Parpagnaca avec les siens franchit les bastions).

La construction décrite ci-dessus n’est cependant pas obligatoire. On aurait pu avoir dans nos exemples : « ...mé lou cavagnòu », « ...mé  lu amic », « ...embé lou dalh » (graphie actuelle), « ...embé lu siéu ».

N.B. - Il est recommandé d’écrire m’au, m’ai etc ... avec l’apostrophe qui rend compte de l’élision.

 

II - Usage de la préposition d’appui DE :

« En calant de Cimiés

souta d’una figuièra

ai rescountrat Nouré ... »

Cette chanson devenue traditionnelle nous propose un autre cas de préposition d’appui. Il s’agit cette fois de la préposition de qui s’associe à la préposition souta et se place avant le complément de la préposition (« souta d’una figuièra » : sous un figuier) : dans ce cas également, usage étranger au français. Il s’agit là d’un phénomène fréquent en nissart, mais non obligatoire. Ainsi, nous lisons dans un texte de GIORDAN (li figa-flour) « souta la figuièra » ou encore chez Raoul NATHIEZ « souta la platana maja ».

La présence ou l’absence de cette préposition d’appui dépend souvent d’un critère d’euphonie. Ainsi « souta d’una figuièra » évite l’hiatus « souta una ... « (l’autre solution aurait été « souta ‘na figuièra »).

Les prépositions concernées par ce phénomène sont essentiellement :

sus (de), darrié (de), soubre (de), dintre (de), souta (de), despì (de), davant (de), sensa (de), denant (de), contra (de).

On dira donc « soubre la banqueta » ou « soubre de la banqueta », « dintre un estable » ou « dintre d’un estable », « denant de la glèia » ou « denant la glèia, arribada  la muleta ... » (Doun Soulina), « davant lou mounde » ou « davant dóu mounde », « contra l’enemic » ou « contra de l’enemic » (R. NATHIEZ), « despì l’abandoun » ou « despì de l’abandoun de la miéu Margarida » (En calant de Cimiés).

On ne saurait raisonnablement imposer une des constructions au détriment de l’autre. Disons toutefois que devant un pronom personnel, c’est le plus souvent la construction avec de qu’on trouvera.

Ex :     « Noun pouden faire un pas sensa avé la bella-maire darrié de nautre ... »

            « Cercas-vous un autre toni, noun cuèntas sus de iéu » (Francis GAG, Lou sartre Matafiéu).

Remarque : devant un article défini, cette préposition d’appui va évidemment se contracter avec cet article, selon les règles de la syntaxe de l’article. Reprenant un exemple de MICÈU, CALVINO donne en exemple : « Marchà davant dóu regimen » (marcher devant le régiment). L’article contracté ne peut être que dóu (contraction de de + lou). Aussi s’explique-t-on mal pourquoi, au mépris de toute logique, certains s’entêtent, dans ce cas, à écrire dau. Ignorent-ils que dau est le résultat de la soudure de da et de lou et fait donc recours à une autre préposition ? Certes pas. Disons qu’il s’agit là d’un manque de rigueur, d’une propension à se satisfaire d’un à-peu-près (nous dirons en niçois le « basta que sigue ») en refusant l’effort de distinguer dau (da + lou) de dóu (de + lou) ou encore dai (da + lu) de dei (de + lu). On croirait être encore à l’époque de La Nemaïda, quand RANCHER notait d’une seule et même graphie dau ce que nous dissocions en dau et dóu et dai ce que nous distinguons en dai et dei (ce qui lui faisait écrire « souta dai aulivié » alors que nous écrivons de nos jours « souta dei òulivié »).

N’est-il pas grand temps de remettre les pendules à l’heure, en réfléchissant sur les modifications que RANCHER lui-même, après La Nemaïda, a apportées à sa graphie (1) et plus particulièrement au résultat de cinquante ans de réflexion sur la langue, avec l’œuvre de GIORDAN et les Grammaires de COMPAN et de Rémy GASIGLIA (2) ? C’est à la lumière de cet enseignement que nous éviterons de dire « dintre dau Coumtat » en disant « dintre dóu Coumtat » et que nous bannirons une expression comme « davant dau poudé de la capitala » au profit de « davant dóu poudé ».

Nous dirons par contre : « Venìa dau Coumtat » (il venait du Comté) ou encore : « Dau poudé de la capitala cau pas tròu esperà » (il ne faut pas trop espérer du pouvoir de la capitale), car dans les deux cas, on a recours à la préposition da qui indique l’origine.

 

NOTES

(1) Pour une étude plus détaillée, se reporter à l’article : Quand emploie-t-on Dei, quand emploie-t-on Dai ?, Lou Sourgentin n° 70 (janvier-février 1986).

(2) La Grammaire du Nissart de Rémy GASIGLIA est la première à avoir proposé aux nissardistes une étude sérieuse et exhaustive des différents emplois de da (p. 285 à 288).

Leçon 17 : La préposition « da » suivie de l’infinitif

 

LA CONFUSION

« Lou travai es encà tout da faire », « Fraire Eliacin, dounas-nen da beure », « Aven coumençat da liège lou libre », « Siéu envidat da visità un’espousicioun ». ( Tout le travail est encore à faire - Frère Eliacin, donnez-nous à boire – Nous avons commencé à lire le livre – Je suis invité à visiter une exposition).  

Ces quatre phrases sont en apparence identiques, dans la mesure où, dans chacune des traductions apparaît un infinitif précédé de la préposition à (... à faire, ... à boire, …à lire, ... à visiter). Et pourtant, seules la première et la deuxième sont du bon niçois (on aura reconnu sans mal des citations du Théâtre de GAG).  

LA SOURCE DE L’ERREUR

Pourquoi les deux autres phrases sont-elles fausses ? Ceux qui commettent l’erreur - tant à l’écrit qu’à l’oral - parlent un niçois naïvement calqué sur le français. Ils croient respecter une règle qui en fait n’a jamais existé. Il serait faux de croire en effet qu’il existe un principe de traduction selon lequel le « à + infinitif « français se traduirait par « DA + infinitif » en nissart.  

LA DISTINCTION

On la fera sans mal en ayant présente à l’esprit la syntaxe de la préposition DA et plus précisément les cas précis dans lesquels on l’emploie. Or, devant un infinitif, cette préposition est essentiellement employée dans deux cas :  

l) On emploie DA pour marquer la nécessité, l’obligation (souvent, mais pas uniquement dans l’expression « avé da » (avoir à, être dans l’obligation de …)

Ainsi Signa Poncion dit aux Marguilliers de La Nemaïda : « Avés da cregne tout dau cors daï Sacrestan. » (Vous avez tout à craindre du corps des sacristains).

On peut toutefois noter que, chez les auteurs modernes, et sans doute à cause de la régression de l’influence de l’italien, la préposition DA recule au profit de À. Ainsi on lit chez MOSSA « Jiroumeta n’a jà que trou à faire » ou encore « Noun avès ren d’autre à mi dire ». Dans ce cas donc, l’emploi du da niçois n’est sans doute pas aussi rigoureux qu’en italien.  

2) On emploie da pour marquer la possibilité (sens du français « de quoi »). Cet emploi est fréquent avec le verbe « dounà » (donner).

Ex: « doune-li da manjà » (donne-lui à manger, de quoi manger).  

Il va de soi que ces deux cas d’emploi de la préposition da se retrouvent en italien (on aurait pour nos deux exemples ci-dessus « avete da temere tutto », « dagli da mangiare »).

 Leçon 18 : La préposition « da » suivie de l’infinitif (suite)

LES AUTRES CAS (Emplois contestables de da)

Mais ces deux possibilités d’emploi de la préposition da ne doivent pas faire oublier qu’en nissart comme en français, la préposition à est d’un emploi très fréquent pour introduire une foule de compléments d’adjectifs et de compléments de verbes.  

A) Compléments d’adjectifs

Pour s’en persuader, rien ne vaut la relecture des bons auteurs, de RANCHER à Francis GAG. Dans la fable 38 de RANCHER, la brebis (la fea) est « pronta a pagar, la semana d’après / capital, interès e frès » (prête à payer, la semaine suivante / capital, intérêts et frais). Dans la fable 5, « lu bracounier … a s’entournar fougheron lest » (les braconniers furent prompts à repartir).

Au chant V de La Nemaida, Nem vante le talent de Catin la cuisinière « ch’es lesta a li ciangià la bouteglia dau vin » (qui est prompte à lui changer la bouteille du vin).

Dans La mouostra raubada, les pommes qui font envie à Baci sont qualifiées de « frucha tout au plus bouona a recrear de cabra » (fruits tout au plus bons pour plaire à des chèvres).

Et dans le Sartre Matafiéu, Babet dit : « siéu bouòna a m’en venì souleta » (je suis capable de revenir seule).

Du chat qui guette une souris, RANCHER dit : « Es atent à sesir l’enemic en defaut. » (Il est attentif à prendre en défaut l’ennemi). Au chant VII de La Nemaida, Nem dit à sa troupe, en parlant des marguilliers « Elu, che non son bouoi ch’a metre la discordia, aùra, spaventat, cridon misericordia » (Eux qui ne sont bons qu’à semer la discorde, maintenant épouvantés, ils implorent pitié).  

C’est en pensant à de tels exemples, qu’on pourrait aisément multiplier, qu’on renoncera à dire « toutara, serai lèst da partì » pour dire « lèst à partì ». De même, on dira « Es estat lou premié à trouvà la soulucioun » (et non « da trouvà ») (il a été le premier à trouver la solution), en se rappelant que l’écart par rapport au français n’est pas un critère de correction.  

B) Compléments de verbes

C’est cette construction qui donne lieu au plus grand nombre d’erreurs, tant à l’écrit qu’à l’oral. Très nombreux sont en effet les verbes qui, en nissart comme en français, se construisent avec la préposition à. Voyons-en quelques exemples significatifs, en nous mettant encore une fois à l’école des bons auteurs.  

Commencer à :

Au chant VII de La Nemaida nous lisons: « Nem de già comensava a piglia la paraula » (Nem commençait déjà à prendre la parole) Dans La mouostra le docteur, gagné par le sommeil, « comensa a badagliar » (commence à bailler) (v. 563). Le pigeon ramier de la fable 59, séduit par la tourterelle « comensa, en fin routier, à li faire gran festa. » (commence en bon routier à lui faire fête).

Et, dans Lou sartre Matafiéu on entend Tipougni dire « coumençavi à bramà per carriera » (je commençais à crier dans la rue). Inutile de multiplier les exemples, la construction da+ infinitif ne peut s’appliquer ici. On ne dira donc pas « coumençan da si counouisse » (nous commençons à nous connaître) mais « coumençan à si counouisse » (nous commençons à nous connaître). Nous disons par contre « coumençà dau coumençamen » (commencer à partir du début), car dans ce cas, la préposition da marque l’origine devant un substantif.  

Inviter à :

Le chasseur de la fable 6 dit à la perdrix « la tieu offerta m’envida / a ti levar la vida » (ton offre m’invite à t’ôter la vie). Du loup de la fable 37, qui veut tromper le chevreau en imitant la voix de la chèvre, RANCHER dit : « lou beu cabrit envida / a li durbir lou portissoù » (il invite le beau cheveau à lui ouvrir le portillon).

On ne dira donc pas « Siès envidat (counvidat) da venì au nouòstre » (Vous êtes invité à venir chez nous) mais « counvidat à ».  

Contraindre à, forcer à, condamner à :

Dans La mouostra, l’auteur dit (v. 774) « La rima m’a foursat a metre un mot nouvèu. » (La rime m’a contraint à mettre un mot nouveau)

Dans la morale de la fable 38 on lit : « A ressevre, a donar tout ome es condanat. » (Tout homme est condamné à recevoir, à donner).

En ayant présents à l’esprit ces exemples, on dira « es coustrech à si cercà un autre travalh » (et non pas « coustrech da ») (il est contraint à chercher un autre travail). On dira par contre « es coustrech da la crisi » (il est contraint par la crise), la préposition da introduisant ici le complément d’agent.

Pour tous ces verbes, l’erreur est due au fait qu’on invoque mal à propos l’idée d’obligation pour justifier la préposition da.

Leçon 19 : La préposition « da », suite et fin

Apprendre à , enseigner à :

Dans La mouostra, au chant IV, Gastavista s’écrie: « Brutassi, a ben tratar ancuei coù che v’empari. » (Salopes, il faut aujourd’hui que je vous apprenne à bien traiter les gens).

De même, dans Lou sartre Matafiéu, Babet dit, parlant de Tipougni : « li vouòli emparà à viéure. » (je veux lui apprendre à vivre)

Aussi dirons-nous « empara voulountié à escrieure » (il apprend volontiers à écrire) et non « da escrieure ».

Passer (le temps) à :

Au début (v. 21) de La mouostra, RANCHER écrit: « pisch’a tougiou cantar coù che passi la vida. » (puisqu’il faut que je passe toute ma vie à chanter).

Dans Lou sartre Matafiéu, le tailleur déplore : « passan lau temp à charrà de tout e de rèn. » (nous passons notre temps à causer de tout et de rien).

On dira donc d’un boulanger « a passat trent’an à faire lou pan per lou vilage »  (il a passé trente ans à faire du pain pour le village) (et non pas « da faire »).

Se mettre à :

Dès la fable 13 de RANCHER (Lou can e lu doui enfan), on peut lire « Medor si mete a far bau-bau. »

Six autres emplois de cette construction dans Li fabla nissardi. Construction qui nous est familière grâce à notre folklore : nos lecteurs ont certainement présente à l’esprit la chanson traditionnelle « Lou pichin ome » dont un couplet dit:

 « Lou lapin si mete à courre, e lou pichoun pica dóu mourre ». (Le lapin se met à courir et le petit tombe la tête la première).

La cause étant entendue, nous dirons donc : « Si sian mes à estudià l’obra de RANCHER » (Nous nous sommes mis à étudier l’œuvre de RANCHER). Nous dirions par contre : « RANCHER es un autour da estudià »  (RANCHER est un auteur à étudier ) pour bien marquer la nécessité de cette étude.

Chercher à :

Relisons RANCHER « Una sensibla Tourdourela / (...) non sercava plus ch’a mourir » (fable 59) (Une tourterelle sensible… ne cherchait plus qu’à mourir) - « Veu che serches a m’éloagnar » dit le petit œillet au genêt. (f. 66) (Je vois que tu cherches à m’éloigner). Relisons Francis GAG « Moussu (...) Matafiéu, lou miéu mèstre, cèrca à si maridà » (Monsieur Matafiéu, mon maître, cherche à se marier) s’apprête à crier « à cada cantoun de carrièra » (à chaque coin de rue) le garçon tailleur Tipougni.

Forts de ces exemples, nous devrons donc dire que « cercà da » est à exclure, et nous dirons par exemple « la pouliça cerca à identificà l’assassin. » (la police cherche à identifier l’assassin).

Nous renoncerons à citer des dizaines d’autres verbes pour mettre l’accent, avant de conclure, sur un cas particulier : l’emploi de la préposition à devant un infinitif ayant valeur de complément de condition (exemple français : à l’en croire, il sait tout faire).

Dans ce cas aussi, l’emploi de la préposition da est à exclure en nissart.

Relisons RANCHER : le renard pris au filet dit au coq « De star en aquesta leca, a lou ti dire franc, mi seca » (fable 55) (À te parler franc, cela m’ennuie de rester dans ce piège).

Pour mettre un terme au chant I de La mouostra, l’auteur dit « a lou vous dire net / tres fes hai già picat en terra lou bonet » (À vous parler franc, j’ai déjà trois fois heurté du bonnet par terre).

Relisons GAG : c’est Babet qui fait remarquer à Matafiéu « dirìon, à vous vèire, que siès couma gilous » (à vous voir, on dirait que vous êtes, pour ainsi dire, jaloux).

Sur ces modèles, nous renoncerons à l’emploi de da et nous dirons, par exemple, « A voulé faire plesì en toui, serès toujour criticat » (à vouloir,  si vous voulez ...).  Aux lecteurs qui auraient la curiosité de savoir si, dans tous les cas que nous venons d’envisager, l’italien, et plus particulièrement les dialectes piémontais et ligure, emploient la préposition da, on répondra par la négative (on aurait en italien classique: pronto a ...,  il primo a ..., cominciare a …,  invitare a …,  costringere a …, ... imparare a …, insegnare a …, passare il tempo a …, cercare di …, a volere …

CONCLUSION

D’une part, certes, il est indispensable de connaître l’existence dans notre langue (et dans celle des vallées occitanes du Piémont) de la préposition da sur laquelle nous avons enfin une étude sérieuse, celle de la Grammaire du Nissart de Rémy GASIGLIA, ouvrage dont on ne saurait trop conseiller l’utilisation.

Mais, d’autre part, il faut employer cette préposition à bon escient et ne pas en faire une pratique « inflationniste », danger contre lequel le meilleur garde-fou reste la relecture méthodique de nos bons auteurs, de RANCHER à GIORDAN et à Francis GAG.

Leçon 20 : « Per » et « da »

Ma per qu es estat escrich aquest’article ?

Ayant dans leurs essais de traduction, à rendre le français par, nos élèves ont spontanément recours à la préposition niçoise per, qu’il s’agisse de rendre l’idée du lieu par où l’on passe (voyager par terre ou par mer : viajà per terra o per mar) ou de donner une indication de moyen (tenir un enfant par la main : tenì un enfant per la man), dans le langage mathématique (multiplier par trois : multiplicà per tres) ou enfin pour indiquer le mobile d’une action (il l’a fait par intérêt : l’a fach per interès).

Il y a toutefois un cas plus délicat : celui où la préposition française par introduit, après un verbe au passif, un complément d’agent. Exemple : la souris est mangée par le chat. Comment va-t-on rendre ce par en nissart ?

LA RÉPONSE DES GRAMMAIRES ET DES GRANDS AUTEURS.

Une réponse d’une clarté exemplaire est donnée par la Grammaire de l’idiome niçois de J.B. CALVINO et A.L. SARDOU qui, un siècle après sa publication rend encore de précieux services, et à laquelle est emprunté notre exemple. La traduction proposée est « La rateta es manjada dau cat. » Il est clair que c’est la préposition da qui traduit par, l’article contracté dau étant le résultat de la « soudure » de da et de l’article lou (1). CALVINO précise (page 109) que « l’idiome niçois a pris à l’italien cette préposition da ». On pourrait nuancer en disant que cet emprunt s’est fait sans doute par le canal des dialectes piémontais et ligure.

Quoi qu’il en soit, cette préposition da est déjà préconisée par la Grammaire de MICÈU (1840) qui, étudiant le régime des verbes passifs, et précisant que l’agent est introduit par la préposition da, donne l’exemple : « lu marrit seran castigat da Dieu » (les méchants seront châtiés par Dieu). Et la récente Grammaire du nissart (de Rémy GASIGLIA) confirme cet usage.

Si on relit les auteurs consacrés du XXème siècle, on trouve sans mal la pratique de ce recours à da. C’est le cas pour EYNAUDI - exemple : « Goustin Tabuseia, encargat da soun paire d’anà faire quauqui prouvista... » (chargé par son père d’aller faire quelques provisions) (2). Il en est de même pour GIORDAN, connu à juste titre pour la pureté de sa langue : « Lou Senat, istituit en 1614 dau duc de Savoia Càrlou Emanuèu 1er » (Le Sénat institué en 1614 par le duc de Savoie Charles Emmanuel 1er), « lou debitour èra coundanat dai juge dóu Senat » (Le débiteur était condamné par les juges du Sénat) (3). « Aquéu premié denoumbramen siguèt fach da Cirìnou, gouvernatour de la Sirìa » (Ce premier recensement fut fait par Cyrinus, gouverneur de Syrie) (4).

On constate la même pratique chez GENARI, autre orfèvre de la langue : « Pacherin es fourçat de tout recoumençà en faguent pihà li mesura da Tipougni, toujour desgaubiat » (Pacherin est forcé de tout recommencer en faisant prendre les mesures par Tipougni, toujours aussi maladroit). « Babet pouòrta lou pendin d’or, regalat da soun mestre » (Babet porte le pendentif en or, offert par son maître (5).

M. COMPAN utilise lui aussi cette préposition : « S’es vist lou bòia pourtà la crous e la fourca, ajudat dai manigòrdou escapat de prisoun » (6) (on a vu le bourreau porter la croix et la potence, aidé par les canailles évadées de prison).

« Pistada dai boumbardamen, ..., caucada dai Aleman que dau Brenner repihavon li calada de l’Age-Mejan, l’Itàlia acaurada avìa dich cèba » (pilonnée par les bombardements, foulée aux pieds par les Allemands qui du Brenner reprenaient les descentes du Moyen-Âge, l’Italie accablée avait capitulé) (7).

Au siècle dernier, bien évidemment, nous trouvons l’emploi de da chez RANCHER : c’est vrai depuis La Nemaïda, où, pour évoquer Cimiez, l’auteur écrit :

« Soubre lou dous pancian d’un coulet tougiou vert da li flou, da la frucia en toui lu tem cubert » (8) (une colline toujours verte, couverte en tout temps par les fleurs, par les fruits)

... Jusqu’aux fables : ainsi, dans la fable 16, le chat se plaint du coq, dont il dit « ... lou sieu lonc bacanal l’ha faç nomar da toui lou plus coquin dei gal » (son incessant tapage l’a fait appeler par tous le plus coquin des coqs).

UNE AUTRE RÉPONSE.

Toutes ces respectables références pourraient faire conclure que la cause est entendue, sans hésitation possible. Mais la réalité est un peu plus complexe. Voyons pourquoi ...

1) Chez les auteurs anciens on ne trouve pas encore da, mais per. Au XVIème siècle, avant que soit instauré l’usage de l’italien comme langage de culture (1561) le chroniqueur BADAT n’emploie pas da, mais per lorsqu’il écrit à propos des Français et des Italiens qui vinrent assiéger Nice « per los Nisars forom ben rebatus » (9) (ils furent bien repoussés par les Niçois). C’est per qu’emploie également PELLOS, au XVème siècle, dans la conclusion de son Compendion de l’abaco, où on lit : « Complida es la opera, ordenada he condida per noble Frances Pellos, citadin es de Nisa » (Achevée est l’œuvre, ordonnée et parée par le noble François Pellos, citoyen de Nice).

Ces auteurs emploient donc pour introduire le complément d’agent la préposition per, se conformant en cela à l’usage général de tous les pays de langue d’Oc, vaste ensemble linguistique dont Nice fait partie.

2) Chez les auteurs contemporains, on assiste à un retour de la préposition per. Ainsi on la trouve chez MOSSA : « una boutiga nova, touta vestida de giaune emb’un aissort de piccioui amourin pinta per lou signour Fragonard » (10) (... avec une troupe de petits amours peints par Monsieur Fragonard).

On trouve ce même emploi de per sous la plume de Monsieur COMPAN, précédemment cité : « Lou plan estabilit pèr l’estudianta noustrala » (Le plan établi par une étudiante de chez nous), « un massoun de pèça en nissart escrichi pèr MICÈU » (11) (une liasse de pièces écrites en niçois par MICÈU), « s’enavisan soubeiramen de l’obra coumplida pèr Mistral » (12) (nous prenons souverainement conscience de l’œuvre réalisée par Mistral). Bien d’autres auteurs pourraient être cités, qui tous ont pratiqué cette forme pan-occitane.

Sans que cela soit écrit nulle part, tout se passe comme si on reprochait à la pauvre préposition da son origine transalpine, en lui préférant le pèr qu’emploient dans ce cas les Provençaux.

TIMIDE CONCLUSION.

Que conclure de cette situation paradoxale ? Faut-il parler de « cohabitation » grammaticale et renvoyer les deux prépositions dos à dos ? Dans une perspective « normative », qu’un enseignant peut difficilement éluder, nous serions tentés de préconiser l’emploi de da, qui a pour lui un usage parlé encore très répandu et une tradition littéraire qui n’est pas à négliger. Ne peut-on pas considérer que la préposition da est désormais solidement « acclimatée » dans notre langue, et que cet apport « étranger » est une richesse que nous avons assimilée ? Aussi peut-on raisonnablement être d’accord avec Rémy GASIGLIA qui, après avoir cité en bonne place l’emploi de da pour introduire les compléments d’agent (page 285), écrit, à propos du passif, que « l’emploi de PER à la place de DA est un gallicisme ou un provençalisme. » (13).

Ajoutons simplement que per a l’inconvénient d’être une préposition ambiguë, dans la mesure où elle est souvent l’équivalent de pour français marquant la destination appropriée (« aquestou bouquet, l’ai culhit per tu » : je l’ai cueilli pour toi »). C’est pourquoi, répondant à la question volontairement sibylline posée par notre titre, nous dirons : « aquest’article es estat escrich da J. Chirio, per lu letour dóu Sourgentin que creson à l’utilità de la reflessioun gramaticala… » (cet article a été écrit par J.CHIRIO pour les lecteurs du Sourgentin qui croient à l’utilité de la réflexion grammaticale).

Notes :

1 Sur dau, voir Lou Sourgentin n°70, p 44.

2 J. EYNAUDI, Dapé dóu fugueiroun, p. 31

3 J. GIORDAN, L’Armana prouvençau.

4 J. GIORDAN, Lu Evangèli.

5 L. GENARI, compte-rendu du Sartre Matafiéu, Lou Cairèu, 1932

6 A. COMPAN, L’Armana di Felibre 1978, p.109

7 A. COMPAN, L’ Armana di Felibre 1977, p. 79

8 J.R. RANCHER, La Nemaïda, III, 221-222

9 Cité par Roger et Rémy GASIGLIA, Anthologie de la Littérature Nissarde, CRDP Nice, p. 31

10 G.A. MOSSA, Phygaço, I, 4, 1924.

11 Introduction à l’étude de M.-L. GOURDON sur La grammatica nissarda de J. MICÈU, p. II, 1975

12 A. COMPAN, Mistral e l’escritura de la lènga, Nice-Historique, 1980

13 Rémy GASIGLIA, Grammaire du Nissart, 1984, p. 345.

Leçon 21 : La formation des mots par adjonction de suffixes

En français, l’adjonction d’un suffixe n’entraîne que très rarement la transformation du mot de départ (mort - mortel est la règle, main - menotte est l’exception). Mais en nissart, très souvent la dérivation par suffixes s’accompagne d’une modification du radical. Ainsi de mouòrt, par l’adjonction du suffixe -al, on aboutit à mourtal. Mais on remarque qu’en même temps l’accent tonique s’est déplacé du radical (mouòrt) à la syllabe qui contient le suffixe (mourtal).

Cette altération significative du radical sera étudiée dans trois grandes séries d’oppositions :

1- l’opposition uè / u (qui se traduit par le passage de la diphtongue tonique uè à la voyelle atone u, qui précède l’accent tonique) :

juèc (jeu) - juguet (jouet), jugadoù, jugaire (joueur), etc…

fuèlh et fuèlha (feuille) - fulhetà (feuilleter), fulhage (feuillage) (1)

uèlh ou uèi (œil) - ulhet (oeillet), ulhada (oeillade)

2- l’opposition o / ou (passage de la voyelle tonique O à la voyelle atone OU). Très nombreux exemples possibles :

vol (vol) - voulant (volant), voulalha (volaille), voulada (volée), etc…

lonc (long) - lounguet (un peu long), lounguessa (longueur), loungagna (personne lente, chose trop longue), loungamen (longuement)

mensònega (mensonge) - mensouneguié (menteur)

crota (cave) - croutoun (et non crotoun !) (petite cave, cachot)

gragnola (grêle) - gragnoulada (chute de grêle)

bocha (boule) - bouchin (cochonnet)

tron (tonnerre) - trounà (tonner)

corna (corne) - cournuchou (cornet)

oste (aubergiste) - oustessa

3- l’opposition ouò / ou (passage de la diphtongue tonique OUÒ à la voyelle atone OU). Série également très riche :

pouòrta (porte) - pourteta (petite porte), pourtau (portail), etc…

ouòrt (jardin potager) - ourtalha (les légumes)

fouòl (fou) - foulìa (folie), foulatoun (follet, farfadet), foulesc (folâtrerie), foulejà (batifoler), foulastrejà (folâtrer), etc…

couòl (cou), coulana (collier), coulié (collier), pouòrc (porc), pourcarìa (porcherie), pourcas (gros cochon), pourcatié (marchand de porcs), pourquet (petit porc), pourquié (porcher), etc…

De ce qui précède, on retiendra en particulier l’absence dans tous les cas de O en position prétonique (dans une syllabe précédant l’accent tonique). (C’est ainsi que « homologation » se traduira par oumoulougacioun). La dualité O / OU porte sur 2 sons proches : pour souligner l’affinité de ces deux phonèmes, CALVINO au début du siècle les notait respectivement Ò et O (Il écrivait donc tròn et tronà pour tron et trounà).

REMARQUE CAPITALE : si on a bien compris que les altérations de radical étudiées ci-dessus sont fonction du déplacement de l’accent tonique, on ne sera pas étonné de les retrouver dans la conjugaison des verbes irréguliers à alternance vocalique (2). C’est en effet le même phénomène qui fait passer de juèc à juguet et de juègui (je joue) à jugan (nous jouons), etc…

Même remarque pour le passage de vol à voulalha à rapprocher du passage de vòli (je vole) à voulan (nous volons - dans l’air), etc… Même symétrie enfin entre l’alternance couòl /coulana et l’alternance amouòli (j’aiguise) / amoulan (nous aiguisons), etc…

I1 ne saurait y avoir de connaissance valable du nissart sans la maîtrise de ces oppositions qui constituent un des traits les plus significatifs de la langue d’Oc.

Notes

(1) Mais cette opposition tend à disparaître : d’où fueiage (CASTELLANA, 1952) à côté du plus classique fuïage (CALVINO,1903). (2) Voir l’article Des verbes régulièrement irréguliers (Sourgentin n°56)

 Leçon 22 : « -icou », un suffixe en perte de vitesse

Nous voulons parler ici du suffixe d’origine savante -ICOU qui a servi à former de nombreux adjectifs, mais aussi des substantifs.

1) Les adjectifs :

Lorsqu’on lit des textes niçois, on rencontre souvent des adjectifs terminés par les suffixes de relation -icou (le I étant atone) ou -ic (avec un i tonique). Ces adjectifs peuvent être de création moderne ou, plus souvent, issus directement d’adjectifs latins ou grecs. Dans les deux cas, ces adjectifs peuvent donner lieu à une grande perplexité. Ainsi le dictionnaire français-niçois de CASTELLANA (1947) propose de traduire « unique » par ùnicou mais le Dictionnaire niçois-français du même auteur (1952) ne donne pas ùnicou mais unic. Que faut-il penser de cette hésitation entre deux formes ?

En fait le suffixe -icou (calqué sur le latin -icum) est un suffixe apparu tardivement dans notre langue et traduit l’influence du suffixe italien -ico. Ainsi acadèmicou (académique) dérivait du latin academicum et existait en parallèle avec l’italien accademico. Mais ce suffixe est étranger à la langue d’Oc, qui a partout le suffixe -ic (avec un C qui est muet dans la bouche d’un grand nombre de Provençaux, d’où, dans les dictionnaires félibréens, les formes academi (féminin academico), classi (féminin classico), etc…

On aura remarqué que le suffixe -icou (féminin -ica) présentant un I atone, les adjectifs qui résultent de cette dérivation sont proparoxytons, c’est-à-dire que leur accent tonique porte sur l’antépénultième syllabe.

Avant même que cessât l’influence de l’italien sur notre langue, donc bien avant 1860, ce suffixe était concurrencé par le suffixe pan-occitan -ic (féminin -ica), avec un accent tonique portant sur le I (d’où ressemblance avec le suffixe français -ique). Mais on aurait tort d’y voir, comme le pensait CASTELLANA en 1947 (1), uniquement un gallicisme, puisqu’il s’agit en fait d’un retour au mécanisme de la langue d’Oc .

C’est ainsi que GUISOL, dans son Rondeau niçois, emploie unica (accent tonique sur le I), qu’il fait rimer avec republica et pacifica (même accentuation).

Les formes en -icou (-ica) comme dans acadèmicou, estèticou, crònicou, etc… sont donc en régression constante et un jour viendra sans doute où un nouveau dictionnaire, les considérant comme caduques, cessera de les mentionner, pour ne donner que les formes vivantes academic, estetic, crounic, etc…

Ce dernier exemple appelle une remarque : le déplacement de l’accent tonique de crònicou à crounic provoque le passage du O tonique à OU atone.

On passe de même de tònicou à tounic, de istòricou à istouric, etc…

2) Les adjectifs substantivés :

Le problème est de savoir quelles réflexions peuvent inspirer des substantifs en -icou désignant des personnes exerçant un métier ou une spécialité, comme acadèmicou ou matemàticou que nous proposent les dictionnaires de CASTELLANA. Disons d’abord que ces mots qui sont tous des proparoxytons, sont de formation semi-savante et sont employés essentiellement par les personnes cultivées. Ils dérivent d’adjectifs latins en -icum employés comme substantifs : academicum - mathematicum. Ces mots ont donné en italien accademico et matematico (qui sont également des proparoxytons). Les formes nissardes sont l’équivalent chez nous de ces formes italiennes : elles étaient spontanées pour les personnes cultivées qui utilisaient par ailleurs l’italien comme langue officielle.

Parallèlement la langue d’Oïl forgeait avec le suffixe -ien « academicien » et « mathématicien », tandis que la langue d’Oc, avec le suffixe -ian (féminin -iana), donnait « academician » et « matematician » (academiciana – matematiciana au féminin). Mais, dès le 19e siècle, dans le Comté de Nice, l’influence du français se fait sentir sous la forme des gallicismes « academicien » et « matematicien » que propose en 1902 le Nouveau dictionnaire niçois-français de CALVINO. Par contre, les Dictionnaires de CASTELLANA reproposeront les italianismes acadèmicou et matemàticou. Mais ils sont en retard sur l’usage actuel, marqué par une prise de conscience du fait que le nissart est un rameau de la langue d’Oc : cet usage redonne droit de cité aux mots propres à la langue d’Oc, c’est-à-dire academician ou matematician. Et il va de soi que le phénomène ne se limite pas aux deux mots que nous avons pris en exemple. Ainsi pour parler d’un physicien, d’un mécanicien, d’un opticien, d’un praticien ou d’un technicien, l’usage actuel tend à considérer comme caducs les mots fìsicou, mecànicou, òticou, pràticou, ou tècnicou (italianismes inutiles) et préfère employer fisician, mecanician, outician, pratician, ou tecnician. Il appartiendra aux lexicographes futurs d’enregistrer cette évolution.

Si maintenant on s’interroge sur la traduction de « grammairien », on pourra, en fonction de ce qui précède, renoncer à l’italianisme gramàticou ou à l’affreux gallicisme « gramerien » au profit de gramatician (qui correspond à gramàtica comme matematician correspond à matemàtica) : ce terme, déjà présent dans le dictionnaire d’EYNAUDI, est d’ailleurs employé par André COMPAN. (2)

Notes

(1) Voulant justifier sa traduction de scientifique par scientìficou plutôt que par scientific, l’auteur commente dans sa préface : « on est toujours à temps de franciser ».

(2) « Mistral e l’escritura de la lènga » Nice-Historique 1980, n°3. On peut toutefois s’étonner de voir cet auteur employer dans le même article (p. 97 de la revue) l’italianisme founèticou (sistèmou (?) founèticou) plutôt que la forme founetic plus conforme au génie de notre langue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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